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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/167

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morale des maîtres et morale des esclaves

délicate, ils sont plus exposés à toutes les mésaventures ; un chronomètre de précision se dérangera plus en tombant qu’une montre ordinaire. C’est parfois un défaut qui décide d’un succès ; une organisation plus fruste et plus grossière pourra, comme l’ont remarqué les physiologistes, supporter mieux une intoxication microbienne qu’un organisme délicat et à système nerveux très développé.

Au reste, Nietzsche lui-même a reconnu que la sélection n’a pas toujours pour résultat le triomphe des meilleurs ; il se plaint de ce que, là où la lutte pour la vie existe, « elle se termine malheureusement d’une façon contraire à celle que désirerait l’école de Darwin, à celle que l’on oserait peut-être désirer avec elle : je veux dire au détriment des privilégiés, des forts, des exceptions heureuses. Les espèces ne croissent point dans la perfection : les faibles s’unissent toujours pour se rendre maîtres des forts »[1].

On sait que, d’après le comte de Gobineau, M. Vacher de Lapouge, O. Ammon, la décadence et la chute des peuples ne seraient dues qu’à l’épuisement des éléments ethniques supérieurs. Grand admirateur de Gobineau, Nietzsche adopte ces vues : « Dans toute l’Europe, dit-il, la race asservie a repris finalement le dessus, quant à la couleur, quant à la brachycéphalie, peut-être même quant aux instincts intellectuels et sociaux. Qui nous garantit que la démocratie moderne, l’anarchisme plus moderne encore, et notamment cette tendance au Communisme, à la forme sociale primitive, commune aujourd’hui à tous les socialistes européens, ne sont pas, dans l’ensemble, des cas de monstrueuse réversion ? La race des maîtres et des conquérants est en décadence même au sens physiologique[2]… » Ailleurs, Nietzsche s’exprime avec plus de précision encore : « On peut présumer que de temps à autre, à certains points

  1. Crépuscule des idoles, p. 184.
  2. Généalogie de la morale, p. 210.