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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/183

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les jugements de nietzsche sur guyau

tondre les deux mains ensemble. » — Zarathoustra, au contraire, veut « que l’on pousse encore ceux qui tombent », et c’est avec honte qu’il « se lave les mains qui ont aidé celui qui souffre ». — « Je m’essuie même encore l’âme. » — « En vérité, dit Zarathoustra, j’ai fait ceci et cela pour ceux qui soutirent ; mais il m’a toujours semblé faire mieux quand j’apprenais à mieux me réjouir. » Tous ces paradoxes eussent, semblé à Guyau n’avoir rien de « sain », au sens physique comme au sens moral du mot.

Cherchant dans le développement même de nos activités naturelles, y compris l’intelligence, la source de l’altruisme, Guyau dit à la page 21 : « La pensée, en effet, est impersonnelle et désintéressée ». — Nota bene, écrit en marge Nietzsche, qui sent l’importance du rôle attribué à l’intelligence dans les origines de la moralité. Mais Nietzsche, devant ce fait qui ruine son système, se rebiffe et écrit encore en marge : « L’impersonnalité relative de la pensée dépend de la nature de troupeau qui appartient à la conscience. » C’est ici que, à notre tour, nous pouvons nous écrier : idée fixe Nietzsche est tellement obsédé par la haine du « troupeau » qu’il veut retrouver le troupeau jusque dans la conscience et l’intelligence. Et sans doute, il y a quelque chose de social ou, si l’on veut, de grégaire, soit dans la pensée et ses formes, soit, dans la conscience même, qui se pose en s’opposant à autrui, au troupeau des autres êtres. Mais, en vérité, comment expliquer par le caractère grégaire les lois fondamentales de l’intelligence, identité, causalité, etc. ? Est-ce parce que l’intelligence a une nature de troupeau que les planètes ont l’obligeance de s’éclipser juste au moment, prévu par l’intelligence de l’astronome ? Les planètes font-elles aussi partie du troupeau ? À la bonne heure ! L’intelligence nous met en effet en société avec le monde entier, mais ce n’est pas, semble-t-il, de la même façon que s’associent les moutons de Panurge pour se jeter dans un trou.