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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/184

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nietzsche et l’immoralisme


À la page 27, Guyau, faisant allusion à la théorie des idées-forces, dit que « l’intelligence a par elle-même un pouvoir moteur » ; Nietzsche met en marge : « Cela est essentiel ; on a jusqu’ici laissé de côté la pression intérieure d’un force créatrice. » Mais, puisque Nietzsche admettait avec nous que l’intelligence a ou peut avoir une force créatrice, comment n’admet-il pas aussi avec nous que cette force tend, non à isoler l’homme du tout, mais à l’unir au tout, conséquemment à le moraliser ?

Reconnaissant de nouveau le pouvoir de l’intelligence, Nietzsche amis Nota bene devant le passage où Guyau, résumant la théorie qu’il avait proposée dans sa Morale anglaise contemporaine, déclare que « tout instinct tend à se détruire en devenant conscient » (p. 53). De même, quand Guyau parle d’une « obligation esthétique » (p. 47) et que, à la page suivante, il ajoute : « génie et beauté obligent », Nietzsche souligne et met. en marge : Bien. L’obligation esthétique, sans être l’impératif catégorique, a pourtant ce caractère de briser la prison du moi et de n’être plus le sentiment d’un déploiement de notre puissance sur les autres, encore moins contre les autres !

On se rappelle la page où Guyau dit que, « quand on ressent un plaisir artistique, on voudrait ne pas être seul à en jouir. On voudrait faire savoir à autrui qu’on existe, qu’on sent, qu’on souffre, qu’on aime. On voudrait déchirer le voile de l’individualité. » Nietzsche s’écrie : « Déployer sa puissance, Macht auslassen ! » Nous ne voyons pourtant pas (quoiqu’on puisse tout trouver dans les sentiments humains) comment le plaisir esthétique peut être un déploiement de puissance au sens de domination sur autrui. Guyau répond lui-même, dans la phrase suivante : « C’est plutôt le contraire de l’égoïsme. Les plaisirs très inférieurs, eux, sont égoïstes. Quand il n’y a qu’un gâteau, l’enfant veut être seul à le manger. Mais le véritable artiste ne voudrait pas être seul à voir quelque chose de beau, à découvrir quelque