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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/186

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nietzsche et l’immoralisme

esthétique et dans le besoin de communication à autrui, si naturel à ce plaisir !

En cette même page 22, Guyau fournit une des plus frappantes réfutations de l’égoïsme universel et exclusif, lorsqu’il montre que le travail, cet exercice de la volonté et de la « puissance », aboutit lui-même à unir l’homme aux autres hommes, loin de l’isoler. « Travailler, dit Guyau, c’est produire, et produire, c’est être à la fois utile à soi et aux autres. » Nietzsche, au lieu de réfléchir sur ce fait, qui dérange son système, souligne le mot aux autres et s’écrie en marge : « Pourquoi ? au contraire ! » Le pourquoi n’était pas difficile à trouver. Dans le monde social, le travail n’est utile à l’individu même qu’à la condition de l’être aux autres, sans quoi il ne lui rapporterait rien. Le simple maçon qui construit votre maison n’est utile à soi-même qu’à la condition de vous être utile ; autrement, il ne gagnerait pas un centime à porter des pierres et à les superposer. Quand même un homme ne bâtirait une maison que pour lui, la maison une fois bâtie servira encore aux siens et, après sa mort, à une foule d’autres, lit si, au lieu d’une maison, vous produisez une découverte scientifique, vous rendez service à l’humanité encore plus qu’à vous-même. Ces faits sont élémentaires, ils sont de sens commun. Mais Nietzsche, lui, méprise le sens commun, et il pousse ici l’exclamation inattendue : au contraire ! C’est-à-dire que celui qui produit et est ainsi utile à lui-même, loin d’être utile du même coup aux autres, comme le soutient Guyau, nuirait aux autres Cette fois, c’est nous qui ne comprenons plus ce qui demandons : « pourquoi ? » Nous voyons bien que le genre de travail qui consiste à s’embusquer dans un bois et à frapper les voyageurs d’un coup de couteau pour leur prendre leur bourse est nuisible à autrui, mais en quoi le travail du chirurgien qui panse le blessé est-il nuisible à ce dernier ?

Par l’analyse des conditions de la sensibilité, de l’intelligence, de la volonté, et par l’énoncé des lois de