connues de l’Esquisse d’une morale sans obligation ni
sanction, où Guyau résume admirablement l’hypothèse
de l’indifférence de la nature : « la nature en son ensemble
n’est pas forcée d’être féconde ; elle est le grand
équilibre de la vie et de la mort (c’est Nietzsche qui
souligne). Peut-être sa plus haute poésie vient-elle de sa
superbe stérilité. L’Océan, lui, ne travaille pas, ne
produit pas, il s’agite ; il ne donne pas la vie, il la
contient ; ou plutôt il la donne et la retire avec la même
indifférence. » Nietzsche, dans ces lignes, reconnaît sa
doctrine d’éternel équilibre et d’éternel retour : aussi
écrit-il en marge : moi.
V. — Guyau a réfuté sans le savoir, à plusieurs reprises, le système moral de Nietzsche. Par exemple, à la page 175, il prévoit le césarisme de Nietzsche, son mépris des « faibles », son opposition à la « pitié », et il écrit : « L’engouement des peuples pour les Césars ou les Napoléons passera par degré ; la renommée des hommes de science nous apparaît déjà aujourd’hui comme la seule vraiment grande et durable… Plus nous allons, plus nous sentons que le nom d’un homme devient peu de chose ; nous n’y tenons encore que par une sorte d’enfantillage conscient ; mais l’œuvre, pour nous-mêmes comme pour tous, est la chose essentielle. Les hautes intelligences, pendant que dans les hautes sphères elles travaillent presque silencieusement, doivent voir avec joie les petits, les infimes, qui sont sans nom et sans mérite, avoir une part croissante dans les préoccupations de l’humanité… Les questions de personnes s’effaceront pour laisser place aux idées abstraites de la science ou au sentiment concret de la pitié et de la philanthropie… À la justice distributive — qui est une justice toute individuelle, toute personnelle, une justice de privilège (si les mots ne juraient pas ensemble) — doit donc se substituer une équité d’un caractère plus absolu et qui n’est au fond que la charité. Charité pour tous les hommes, quelle que soit leur