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les jugements de nietzsche sur guyau

lesquels il rétablit des liens et des devoirs aussi étroits que ceux des moralistes ; il se borne donc à déplacer et à rétrécir la morale au lieu de la supprimer, il nous ramène au régime fermé, à la prison des vieilles aristocraties. — Non seulement, continue Guyau, toute lutte aboutit à « limiter extérieurement la volonté », mais encore, en second lieu, « elle l’altère intérieurement ». En effet, « le violent étouffe en lui toute la partie sympathique et intellectuelle de son être, c’est-à-dire ce qu’il y a en lui de plus complexe et de plus élevé au point de vue de l’évolution ». La « dureté » (dont parle Zarathoustra), si elle est autre chose que fermeté dans la justice et dans l’amour même, n’est plus que brutalité ; or, comme le dit Guyau, en brutalisant autrui, le violent s’abrutit plus ou moins lui-même ». La violence, « qui semblait une expansion victorieuse de la puissance intérieure », finit donc par en être « une restriction ». — « Donner pour but à sa volonté l’abaissement d’autrui, c’est lui donner un but insuffisant et s’appauvrir soi-même. » Ce n’est pas tout encore, et Guyau démontre que le dernier degré de cette prétendue expansion de la vie (où Nietzsche cherchera le mouvement ascendant de la santé débordante) entraîne au contraire le déclin physiologique, la désorganisation, le déséquilibre final de la vie, disons même la maladie et la folie de la volonté. « Par une dernière désorganisation plus profonde, la volonté en vient à se déséquilibrer complètement elle-même par l’emploi de la violence ; lorsqu’elle s’est habituée à ne rencontrer au dehors aucun obstacle, comme il arrive pour les despotes, toute impulsion devient en elle irrésistible ; les penchants les plus contradictoires se succèdent alors, c’est une ataxie complète, le despote redevient enfant, il est voué aux caprices contradictoires, et sa toute-puissance objective finit par amener une réelle impuissance subjective.[1]» Ainsi

  1. Éducation et Hérédité, p. 53. Cf. Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction, p. 102 de la deuxième édition.