Aller au contenu

Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
viii
nietzsche et l’immoralisme

Comme la plupart des philosophes allemands, depuis Hegel jusqu’à Schopenhauer, il se croit volontiers seul capable de se comprendre lui-même. « Après-demain seulement m’appartiendra. Quelques-uns naissent posthumes. Je connais trop bien les conditions qu’il faut réaliser pour me comprendre. Le courage du fruit défendu, la prédestination du labyrinthe, Une expérience de sept solitudes. Des oreilles nouvelles pour une musique nouvelle. Des yeux nouveaux pour les choses les plus lointaines. Une conscience nouvelle pour des vérités restées muettes jusqu’ici... Ceux-là seuls sont mes lecteurs, mes véritables lecteurs, mes lecteurs prédestinés : qu’importe le reste ? Le reste n’est que l’humanité. Il faut être supérieur à l’humanité en force, en hauteur d’âme, en mépris[1]. »

Dans le monde des valeurs, selon Nietzsche, règne le faux monnayage ; il est temps de changer à la fois la matière et l’effigie. L’humanité entière s’est trompée jusqu’ici sur toutes les valeurs de la vie, mais la vraie vie qui vaut la peine d’être vécue a été enfin conçue par Nietzsche : « Les milliers de siècles à venir, dit-il, ne jureront que d’après moi ». On compte à tort les siècles, ajoute-t-il, à partir « du jour néfaste » qui fut le premier jour du christianisme : « Pourquoi ne les mesurerait-on pas à partir de son dernier jour ? À partir d’aujourd’hui ! Transmutation de toutes les valeurs ! » Ainsi parle le fondateur de l’ère nouvelle.

En lisant Nietzsche, on est partagé entre deux sentiments, l’admiration et la pitié (quoiqu’il rejette cette dernière comme une injure), car il y a en lui, parmi tant de hautes pensées, quelque chose de malsain et, comme il aime à le dire, de « pervers », qui arrête parfois et rend vains les plus admirables élans de la pensée ou du cœur. Le cas Wagner ; un problème musical, tel est le titre d’un de ses livres ; ne pourrait on écrire aussi : « Le cas Nietzsche ; un problème pathologique ? »

En Allemagne, toute une littérature s’est produite autour du nom de Nietzsche ; érudits et critiques voudraient faire pour lui ce qu’ils ont fait pour Kant ; Nietzsche a ses « archives » à Weimar, Nietzsche a

  1. Préface de l’Antéchrist