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nietzsche et l’immoralisme

franchise, et il disait : — « Si mon âme était en or, ne serait-ce pas une joie d’avoir trouvé quelque excellente pierre de touche pour en éprouver le titre ? » Pour l’âme contemporaine, qui est loin d’être en or, Nietzsche et ses pareils sont cette pierre de touche.

Les Schlegel et les Tieck avaient déjà posé les bases de la conception du Surhomme, en soutenant la souveraineté de l’individu supérieur, image de l’Absolu. L’Absolu est à lui-même sa loi ; il se suffit, il jouit de soi, il ignore l’effort et le travail. « Pourquoi les dieux sont-ils des dieux, dit l’auteur de Lucinde, si ce n’est parce qu’ils vivent dans une véritable inaction ? Et voyez comme les poètes et les saints cherchent à leur ressembler en cela, comme ils font à l’envi l’éloge de la solitude, de l’oisiveté, de l’insouciance Et n’ont-ils pas raison ? Tout ce qui est beau et bien n’existe-t-il pas sans nous et ne se maintient-il pas par sa propre vertu ? À quoi bon l’effort incessant, tendant à un progrès sans relâche et sans but ? Cette activité inquiète, qui s’agite sans fin, peut-elle le moins du monde contribuer au développement de la plante infinie de l’humanité, qui croît et se forme d’elle-même ? Le travail, la recherche de l’utile est l’ange de mort à l’épée flamboyante qui empêche l’homme de rentrer au paradis. De même que la plante est, de toutes les formes de la nature, la plus belle et la plus morale, la vie la plus divine serait une végétation pure… Je me contenterai donc de jouir de mon existence et je m’élèverai au-dessus de toutes les fins de la vie, parce que toutes elles sont bornées et par conséquent méprisables. » Bornée aussi et méprisable est la morale du vulgaire. « Tout ce que la conscience révère, les mœurs, les convenances, les lois, le culte établi, ne sont que des formes sans consistance, un effet passager du moi infini, indignes du respect de l’homme cultivé. » Le sage, s’il consent à s’y conformer, en rit intérieurement ; il n’est pas dupe de prétendues lois créées par sa pensée et que sa pensée peut défaire. Ce que Schlegel dit du philosophe, il le dit