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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/214

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nietzsche et l’immoralisme

du Re corvo de Gozzi, mais en une noble attitude et avec un geste plein de grandeur. Son souvenir demeure, vivant, et il est célébré comme un héros ; sa volonté mortifiée, sa vie durant, par les épreuves et la peine, par l’insuccès, par l’ingratitude du monde, s’éteint fin sein du nirvâna »[1]. Le héros de Schopenhauer, qui rappelle aussi celui de Hegel, n’a pas encore l’individualisme absolu du Surhomme de Nietzsche, mais il en a déjà l’ambition hautaine et le « geste » tragique.

Gœthe nous avait déjà représenté l’œuvre dramatique (Faust par exemple) comme pouvant seule donner une raison d’être à la création. Pour Nietzsche, le héros tragique ne sera pas seulement la forme la plus haute et la plus belle de l’existence : il sera « la raison d’être de l’existence. »

Sans se perdre en ces exagération orgueilleuses, Guyau définit « l’homme supérieur » celui qui entreprend et risque le plus, soit, par sa pensée, soit par ses actes. Cette supériorité vient de ce qu’il a un plus grand trésor de force intérieure ; « il a plus de pouvoir, par cela même il a un devoir supérieur. »

Zarathoustra annonce au peuple, sur la place publique, la venue du vrai Fils de l’homme, et il le fait en termes d’un admirable lyrisme :

    Je vous enseigne le Surhomme. L’homme est quelque chose qui doit être surmonté. Qu’avez-vous fait pour le surmonter ? Tous les êtres, jusqu’à présent, ont créé quelque chose au-dessus d’eux et vous voulez être le reflux de ce grand flux et plutôt retourner à la bête que de surmonter l’homme !
    Qu’est le singe pour l’homme ? Une dérision et une honte douloureuse. Et c’est ce que doit être l’homme pour le Surhomme ; une dérision et une honte douloureuse ! Vous avez tracé le chemin du ver jusqu’à l’homme, et il vous est resté beaucoup du ver. Autrefois vous étiez singes et maintenant encore l’homme est plus singe qu’aucun singe…
    Le Surhomme est le sens de la terre. Votre volonté doit dire : que le Surhomme soit le sens de la terre !

  1. Brandes, Menschen und Werke, Francfort, 1895, p. 139, traduit par M. Darmesteter.