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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/216

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nietzsche et l’immoralisme

objectif de la vérité et de la valeur. Comment savoir que le Surhomme est le « sens de la terre », si la terre n’a pas plus de sens que le ciel et le monde entier, qui s’agite sans but dans un vertige sans fin ? — Un idéal moral, qui assigne à la vie son sens et son but, répond Nietzsche, ne peut être ni prouvé ni réfuté ; mais il appartiendra un jour au Surhomme, il appartient déjà au philosophe de poser les valeurs et de les créer en les posant. Aussi Nietzsche fait-il la guerre au simple savant, à l’homme « objectif », à l’homme miroir, « habitué à s’assujettir à tout ce qui doit être connu, sans autre désir que celui que donne la connaissance, le reflet ». Il oppose au savant le philosophe, « l’homme violent, le créateur césarien de la culture, l’homme complémentaire en qui le reste de l’existence se justifie », l’homme qui est « un début, une création, une cause première »[1]. Le sage seul est créateur.

    Et Zarathoustra parla ainsi au peuple : Il est temps que l’Homme se fixe à lui-même son but.
Il est temps que l’Homme plante le germe de sa plus haute espérance.
    Aujourd’hui, il peut encore semer dans un sol riche. Mais ce sol deviendra un jour pauvre et stérile, et nul grand arbre n’y pourra plus croître.
    … Hélas ! le temps est proche où l’Homme ne jettera plus la flèche de son désir par delà l’Homme, où la corde de son arc aura désappris à vibrer.
    Je vous dis : Il faut porter encore en soi un chaos pour pouvoir enfanter une étoile qui danse. Je vous dis : vous portez en vous un chaos.
    Hélas ! le temps est proche où l’Homme n’enfantera plus d’étoile. Hélas le temps est proche où viendra l’Homme le plus méprisable, qui ne sait plus se mépriser lui-même.
    Surmontez-moi les petites vertus, hommes supérieurs, les petites prudences, les petits égards pour les grains de sable, le fourmillement des fourmis, le misérable contentement de soi, le « bonheur du plus grand nombre »[2].
    Personne ne sait encore ce qui est bien et mal, si ce n’est le créateur ! Mais c’est lui qui crée le but des hommes et qui donne

  1. Par delà le Bien et le mal, p. 137.
  2. Zarathoustra, tr. fr., p. 406.