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nietzsche et l’immoralisme

quelque usage qu’ils fassent de leur force. C’est ici que l’idée redevient morbide, car un fort égoïsme n’est pas pour cela une « vertu qui donne ».

    Il y a un autre égoïsme, un égoïsme trop pauvre et affamé qui veut toujours voler, cet égoïsme des malades, l’égoïsme malade !
    Avec les yeux du voleur, Il regarde sur tout ce qui brille ; avec l’avidité de la faim, il mesure celui qui a de quoi manger largement, et toujours il rampe autour de la table de celui qui donne.


C’est la maladie, à en croire Nietzsche, qui produit cette envie. Il parait que, dans notre société, tous ceux qui n’ont pas de quoi manger sont des malades ; il n’y a en eux qu’ « une invisible dégénérescence » ; l’envie du vol, qu’éprouve leur égoïsme, part « d’un corps maladif » :

    Dites-moi, mes frères, quelle chose nous semble mauvaise et la plus mauvaise de toutes ? N’est-ce pas la dégénérescence ? Et nous concluons toujours à la dégénérescence quand l’âme qui donne est absente.


On voit que, d’après cette théorie optimiste, il est dans la nature même de l’Homme sain d’avoir « une âme qui donne », une Ame désintéressée, un grand amour et un grand dévouement. Nietzsche aurait bien dû appliquer ce nouveau critère à la question de savoir si les Borgia et les Malatesta sont, comme il l’a soutenu ailleurs, « ce qu’il y a de plus sain » ; s’ils sont des « âmes qui donnent », ou si, au contraire, ils n’ont point, les caractères mêmes de la dégénérescence : égoïsme exclusif, esclavage des voluptés, amour de la domination par tous les moyens, y compris les plus lâches.

Notre chemin vu très en haut, de l’espèce à l’espèce
supérieure
. Mais le sens qui dégénère nous est épouvante, le sens
qui dit : tout pour moi !