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nietzsche et l’immoralisme

    Votre esprit et votre vertu doivent encore enflammer votre agonie, comme la rougeur du couchant enflamme la terre ; sinon, votre mort vous aura mal réussi.
    C’est ainsi que je veux mourir moi-même, afin qu’à cause de moi vous aimiez davantage la terre, amis : et je veux redevenir terre, pour que je trouve mon repos dans celle qui m’a engendré.
    En vérité, Zarathoustra avait un but, il a lancé sa balle ; maintenant, amis, vous êtes les héritiers de mon but, c’est à vous que je lance la balle dorée.
    Je préfère à toute autre chose de vous voir lancer la balle dorée, mes amis ! Et c’est pourquoi je demeure encore un peu sur la terre ; pardonnez-le-moi.
    Ainsi parlait Zarathoustra.


Le prédicateur de la mort volontaire est en effet resté sur terre avec un courage héroïque, malgré tant de souffrances que lui adoucissait la pensée de son œuvre à accomplir. Et qui n’a pas d’œuvre, petite ou grande ? Qui ne tient à personne, qui ne tient à rien, qui ne peut se rendre encore utile ? Au lieu de prêcher la bonne et libre mort, comment Zarathoustra ne prêche-t-il pas la bonne et libre vie ? Comment encore ne voit-il pas que ceux auxquels il conseille de savoir s’en aller à temps et qui en auraient le courage sont ceux précisément que nous avons tout intérêt à retenir. Quant aux « superflus », s’il en existe, ce sont ceux qui tiendront le plus à la vie. Zarathoustra perd ses sermons.

Parmi les hommes, les meilleurs sont ceux qui ne doivent pas les suivre, et les pires sont ceux qui ne les entendront pas.

Quand mourut le chantre de Zarathoustra, ses amis et disciples prononcèrent tour à tour sur sa tombe des paroles graves et éloquentes ; et chacun, à la fin de son discours, ajoutait des versets tirés de Zarathoustra, versets qui retentirent comme des paroles de la Bible ou de l’Evangile, et qui, en termes magnifiques, célébrèrent tout ce qu’il y a de grand, de beau, de bon, d’éternel. Là sans doute, non dans les boutades d’un humour trop tudesque, non dans les négations ou des-