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l’immoralisme de stirner

importante, qu’il est en vérité possible de lire entre les lignes, mais qui a échappé aux yeux des philosophes, parce que lesdits philosophes ne connaissent pas l’homme réel et ne se connaissent pas comme hommes réels, mais qu’ils ne s’occupent que de l’Homme, de l’Esprit en soi, a priori, des noms et jamais des choses ni des personnes. C’est ce que Stirner exprime négativement dans sa critique acérée et irréfutable, lorsqu’il analyse les illusions de l’idéalisme et démasque les mensonges du dévouement et de l’abnégation…[1] »

Lange, après avoir reconnu ce caractère négatif et critique du livre de Stirner, s’est demandé quelle pourrait être la traduction positive de son œuvre. Regrettant que Stirner lui-même n’ait pas complété son livre par une seconde partie, Lange en est réduit aux suppositions. « Pour sortir de mon moi limité, dit-il, je puis, à mon tour, créer une espèce quelconque d’idéalisme comme expression de ma volonté et de mon idée. » M. Lichtenberger, dans une courte notice consacrée à Stirner[2], s’est demandé à son tour quelle forme sociale pourrait résulter de la mise en pratique de ces idées. S’il en faut croire le traducteur français de Stirner, qui appartient à l’école libertaire, ce sont là des questions que l’on ne peut se poser : du livre de Stirner aucun système social ne peut logiquement sortir (en entendant par logiquement ce que lui-même aurait pu en tirer, non ce que nous pouvons bâtir sur le terrain par lui déblayé) : « comme Samson, il s’est enseveli lui-même sous les ruines du monde religieux renversé ».

Tout ce qu’on peut dire, en effet, de positif selon la pensée de Stirner, c’est que les uniques s’associeront, — ce qui semble bien indiquer qu’ils ne seront pas « uniques » ; — mais ils s’associeront à leur gré, avec qui ils voudront, pour le temps qu’ils voudront, aux conditions qu’ils voudront. Et que fera, une fois formée,

  1. Die philosophischen Reactionaere, Kl. Schriften, éd. Mackay, pp. 182-83.
  2. Nouvelle Revue, 15 juillet 1894.