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conclusion

gaire », est-ce vous qui l’avez faite ? Un bon individualiste devrait être muet, comme la brute dont parle Aristote, qui seule peut vivre à l’état d’isolement, et qui ne parle ni grec ni latin, ni allemand ni français..

Le paralogisme des individualistes, c’est de confondre l’humanité on la société avec la foule, avec le vulgaire. Ils citent Schopenhauer, pour qui la conscience sociale est « l’incarnation du vouloir-vivre pur, séparé de l’intellect, du vouloir-vivre stupide, férocement et brutalement égoïste ». La conscience individuelle, au contraire, leur semble le foyer mystérieux où jaillit la petite flamme de l’intelligence libératrice qui soulève l’être au-dessus des égoïsmes et des férocités du vouloir-vivre. La conscience sociale, envisageant tout du point de vue statique, c’est-à-dire du point de vue des intérêts immédiats du groupe actuel, est « forcément oppressive et bornée » ; la conscience individuelle », au contraire, concentre en elle les influences intellectuelles et morales dont se compose ce dynamisme social qui se développe de génération en génération ; elle a devant elle des horizons illimités. « Elle est mère de l’Idéal, le foyer de lumière et de vie, le génie de libération et de salut.[1] » La conscience sociale, dit-on encore, même « informée par l’État », est loin de présenter les caractères de simplicité, de logique et de sincérité. La conscience sociale d’une époque, tissu de contradictions inaperçues et de mensonges dissimulés, est inférieure à une conscience individuelle « même médiocre », parce que cette dernière peut, du moins à certains moments, « tenter d’être logique avec elle-même et d’être sincère vis-à-vis d’elle-même.[2] » Les disciples de Nietzsche invoquent aussi les mesquineries de l’esprit de corps, les coalitions grégaires, « surtout enragées contre les individualités supérieures », la solidarité pour l’irresponsabilité, les hypocrisies de groupe, tous les cants, tous les masques dévots et pu-

  1. Palante, Précis de sociologie, p. 173.
  2. G. Palante, Revue philosophique, décembre 1901. Les dogmatismes sociaux.