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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/288

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nietzsche et l’immoralisme

diques de hontes cachées, en un mot toutes les formes « d’humanité diminuée ».— Mais qu’est-ce que prouve ce long réquisitoire contre l’ordre social, sinon que la société est imparfaite et n’a pas le droit d’opprimer l’individu ? C’est là enfoncer une porte ouverte. L’individu lui-même, à son tour, est-il parfait ? Est-il toujours parfaitement sincère ? Livré à lui-même, aura-t-il toutes les vertus que vous reprochez à la Société de ne pas avoir, comme si la Société (avec majuscule) avait des vices qui ne seraient pas ceux des individus ou, si vous préférez, des Individus La prétendue supériorité de la conscience individuelle, même médiocre, sur la conscience sociale est un pur mythe ; le vouloir-vivre est encore plus « féroce » et surtout plus borné chez l’individu que chez une grande nation, qui a des visées plus générales que l’individu et des intérêts plus généraux, parfois même universels. On réplique, il est vrai, que « l’intérêt général est une fiction ». C’est toujours l’intérêt particulier « qui est au fond de ce qu’on appelle l’intérêt général.[1] » — L’auteur de cette assertion n’en donne pas la preuve. Certes, dirons-nous, il n’y a pas d’intérêt général en soi, qui ne serait l’intérêt de personne ; mais il y a des intérêts communs à tous les individus, intérêts connus par tous les individus, voulus par tous, et, à ce titre, généraux. Le seul commencement de preuve qu’on mette en avant, c’est que Bentham n’a pu « établir une identité entre l’égoïsme personnel et l’égoïsme collectif ». — En effet ; mais autre chose est de dire : « il n’y a aucun intérêt commun à tous les hommes d’une même société », et autre chose de dire avec les benthamistes : l’intérêt de la société est toujours et en tout identique à l’intérêt de l’individu. » De ce que l’intérêt général ne coïncide pas de tous points avec mon intérêt individuel, il n’en résulte nullement que l’intérêt général n’existe pas. Avant d’accumuler toutes ces négations, il eût donc été prudent d’en essayer la preuve.

  1. Palante, Revue phil., ibid., p. 638.