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nietzsche et l’immoralisme

conduite qui ont eu déjà le plus de force et le plus de succès chez nos ancêtres ; ces modes de conduite sont précisément ceux qui tendent à la conservation et au développement de la société. « L’homme sent sur sa volonté individuelle la pression de toute la suite inconnue de motifs naturels qui ont fait que ses ancêtres, en somme, ont plus souvent agi dans le bon sens que dans le mauvais. » C’est ce qu’avait dit déjà Guyau : « L’agent moral, écrit ce dernier, par une pente naturelle et rationnelle tout ensemble, se sentira poussé dans ce sens, et il reconnaîtra qu’il lui faut faire une sorte de coup d’État intérieur pour échapper à cette pression : c’est ce coup d’État qui s’appelle la faute ou le crime. » — Mais la possibilité même d’un tel coup d’État prouve que les tendances qui devraient être « les plus fortes » ne sont pas toujours les plus fortes. Le critérium se trouve alors renversé. De plus, le coup d’État en questionne « crime « paraîtra lui-même à Nietzsche ce qu’il y a de mieux, de plus « sain », de plus conforme à la volonté de puissance. Miss Simcox est obligée, pour éviter l’objection, de définir les tendances les plus fortes, « celles qui sont les plus persistantes ». Elle retourne ainsi à la théorie de Darwin sur les instincts permanents, (tout la violation passagère ne peut empêcher la réapparition finale sous forme de remords. Mais ces tendances persistantes de l’espèce, comme Guyau l’a fait voir avant Nietzsche, renferment des tendances immorales ou tout au moins non morales, aussi bien que des tendances morales. L’instinct de la vengeance est très persistant, surtout chez les Corses ; Nietzsche y verra une splendide manifestation de la vie. L’amour de la propriété et même le désir du bien d’autrui sont encore des tendances très permanentes ; Nietzsche dira : — Si le maître petit s’approprier le bien et la personne de l’esclave, cela est dans la nature. — Il faudrait dresser une liste des tendances selon leur degré de permanence dans l’espèce, ce qui n’est pas facile ; et, celle liste fût-elle faite, nous de-manderions toujours, avec Nietzsche, pourquoi on veut