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conclusion

l’autre, mais qui n’est pas non plus simplement la vie telle qu’elle est quand on s’abandonne aux impulsions purement vitales et biologiques. Autre chose est la direction naturelle de la vie, que Nietzsche considère seule, autre chose est la direction idéale et morale, qu’il s’agit de lui imprimer par la volonté réfléchie. Si la moralité ne consistait qu’à vivre, nous serions tous moraux par le fait ; le malheur est que la moralité, dans certains cas, consiste à mourir.

Pour que l’homme fasse des progrès en un sens vraiment moral, ou, si l’on veut, « surhumain », il faut donc qu’à la préoccupation d’une vie plus forte, plus intense, plus persistante, il ajoute celle d’une vie plus désintéressée et plus universelle ; qu’il place ainsi constamment l’intensité de la vie dans son extension vers autrui, c’est-à-dire, en définitive, la quantité dans la qualité et la valeur. C’est à quoi Guyau l’invite : il voit la vie vraiment intense dans la vie généreuse et féconde, qui « vit pour beaucoup d’autres » ; et c’est ainsi qu’il a lui-même vécu. Mais cette complète harmonie de l’intensité avec l’expansion n’existe que chez les grandes âmes ; chez les autres, elle est incomplètement réalisée. En vertu même de l’évolution, l’homme est resté animal en devenant homme, et l’une des lois de l’animalité, qui subsistera toujours au sein du troupeau, c’est le combat pour la vie. La théorie biologique de l’évolution agrandit l’horizon de la lutte sans en changer la nature. Elle ne peut, à elle seule, transformer toutes les relations purement vitales en relations morales, pas plus que le télescope, en amplifiant le champ visuel jusqu’aux étoiles, ne lui fait dépasser les rapports des objets dans l’espace. Aussi avons-nous vu Nietzsche, au nom de la vie, supprimer purement et simplement la morale.

Guyau, de son côté, a fort bien marqué la limite que la doctrine de l’évolution vitale ne peut dépasser, ni même atteindre. Cette limite, selon lui, c’est « le dévouement, c’est le sacrifice ». Comment, en effet, l’éthique