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nietzsche et l’immoralisme

parce qu’il faut qu’elle se dépense, en vertu de cette loi : La vie ne peut se maintenir qu’à la condition de se répandre. Une cause ne peut pas ne pas produire ses effets, même sans considération de fin ».

Les utilitaires avaient, comme font encore aujourd’hui la plupart des socialistes, cherché dans les arrangements sociaux un chef-d’œuvre de mécanisme capable de produire une harmonie après coup et tout artificielle entre des égoïsmes naturellement discordants. Guyau, dans sa Morale anglaise contemporaine et dans son Esquisse d’une morale, montra que le problème était mal posé, qu’il y a déjà naturellement une certaine harmonie préétablie entre le bonheur de l’un et le bonheur de l’autre, que le moi prétendu fermé est déjà ouvert, déjà en union naturelle avec autrui, et qu’il s’ouvrira de plus en plus. L’expansion vers autrui n’est pas, comme l’avait soutenu Stirner, contre la nature de la vie ; elle est au contraire « selon sa nature » ; bien plus, elle est la condition même de la vie la plus véritablement intense.

Avec cette conception de la vie, la moralité devait apparaître logiquement à Guyau comme la vie supérieure. Cette supériorité, il la considérait comme étant en elle-même une plénitude et une surabondance de vie, non pas comme une limitation et une règle. Il ne niait pas pour cela à la façon de Stirner et des libertaires, que la vie ait pratiquement à s’imposer des limites et des lois, mais ces idées de limite et de loi lui semblaient dérivées, inférieures à la notion primitive de plénitude d’existence.

Nous pouvons maintenant comprendre ce que Guyau voulait dire quand il soutenait que la morale positive (qui d’ailleurs, selon lui, n’est que la première partie de la morale et n’exclut pas toutes les spéculations individuelles) est « sans obligation ni sanction ». Le vrai commandement est celui qu’on se fait à soi-même, car celui des autres, fût-ce d’un Dieu, n’a de valeur que s’il est conforme à celui que nous nous faisons ; d’autre