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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/39

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part de socialité selon guyau

part, on ne se commande pas au nom d’un commandement, mais au nom de quelque principe supérieur à tout commandement et positif, qui, en conséquence, dépasse l’idée restrictive de discipline, de loi, de règle. La vie morale la plus profonde et la plus rationnelle est donc non seulement autonomie, mais, en un sens qu’il faut savoir comprendre, anomie.

Nous avions déjà soutenu nous-mêmes, et Guyau avait approuvé cette idée, que la morale n’est pas proprement ni essentiellement impérative, qu’elle est plus qu’impérative ; elle est, disions-nous pour notre part, persuasive, elle est au-delà et au-dessus de l’idée de loi[1].

« Le devoir, dit Guyau, n’est qu’une expression détachée du pouvoir, qui tend à passer nécessairement à l’acte. Nous ne désignons par devoir que le pouvoir dépassant la réalité, devenant par rapport à elle un idéal, devenant ce qui doit être parce qu’il est ce qui peut être, parce qu’il est le germe de l’avenir débordant dans le présent. Point de principe surnaturel dans notre morale ; c’est de la vie même et de la force inhérente à la vie que tout dérive : la vie se fait sa loi à elle-même par son aspiration à se développer sans cesse ; elle se fait son obligation à agir par sa puissance d’agir. »

Pour Guyau, la « sanction » proprement dite, ou expiation, n’est pas morale, et la seule sanction légitime, c’est la défense sociale. Voilà ce qu’il entendait par une morale sans sanction, qui a sa propre valeur en elle-même et son prix dans ses conséquences immédiates ou médiates. Nous n’avons pas le droit proprement dit de punition ou d’expiation, mais un simple droit de défense accompagné d’un devoir de pardon. Loin de condamner, comme devait le faire Nietzsche, la pitié et le pardon sous prétexte que ce sont des vertus d’esclaves, Guyau écrivait : « J’ai deux mains, l’une pour serrer la main de ceux avec qui je marche dans la vie, l’autre pour relever ceux qui tombent. Je

  1. Voir notre Critique des systèmes de morale contemporains.