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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/40

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nietzsche et l’immoralisme

pourrai même, à ceux-ci, tendre les deux mains ensemble.[1]»

D’une part, donc, la vie se fait son obligation non en vertu d’un impératif mystique, mais par le sentiment même de sa puissance d’agir à la fois personnelle et sociale (en quoi Guyau diffère de Nietzsche), de sa fécondité individuelle et collective : « Je puis, donc je dois ». D’autre part, elle se fait sa sanction par son action même, car, en agissant, elle jouit de soi, monte ou descend au point de vue de la valeur et du bonheur tout ensemble.

En raison de ces principes, Guyau se défiait des dogmatiques et doctrinaires, des sectaires, des « prêcheurs », qui croient tenir la vérité sur leurs lèvres, des « directeurs de conscience » qui prétendent substituer leur direction à notre autonomie. Il voulait, dans l’ordre moral, la plus grande liberté possible, jointe au plus grand sentiment de solidarité, et, dans l’ordre social, une défense forte jointe au plus grand libéralisme. Il croyait le véritable individualisme et le véritable socialisme parfaitement conciliables, grâce à l’extension des associations libres de toutes sortes.

« Dans le règne des libertés, dit Guyau, le bon ordre vient de ce que, précisément, il n’y a aucun ordre imposé d’avance, aucun arrangement préconçu ; de là, à partir du point où s’arrête la morale positive, la plus grande divergence —possible dans les actions, la plus grande variété même dans les idéaux poursuivis. La vraie autonomie doit produire l’originalité individuelle, non l’universelle uniformité. Si chacun se fait sa loi à lui-même, pourquoi n’y aurait-il pas plusieurs lois possibles, par exemple celle de Bentham et celle de Kant ? Plus il y aura de doctrines diverses à se disputer d’abord le choix de l’humanité, mieux cela vaudra pour l’accord futur et final. » Rien de plus monotone et de plus insipide qu’une ville aux rues bien alignées et toutes semblables : ceux qui se figurent la cité intellec-

  1. Esquisse d’une morale, p. 194.