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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/49

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part de socialité selon guyau

« et cette réalisation doit être assez intense, dans le domaine de la représentation, pour nous donner le sentiment sérieux et profond d’une vie individuelle accrue par la relation sympathique où elle est entrée avec la vie d’autrui, avec la vie sociale, avec la vie universelle ». Ainsi se révèle, pour Guyau, l’identité foncière entre ces termes : « vie, moralité, société, art, religion ». Comme la morale et la religion, l’art a pour dernier objet « d’enlever l’individu à lui-même et de l’identifier avec tous ». « Les plaisirs qui n’ont rien d’impersonnel, dit magnifiquement Guyau, n’ont aussi rien de durable ; le plaisir, au contraire, qui aurait un caractère tout à fait universel, serait éternel. C’est dans la négation de l’égoïsme, négation compatible avec l’expansion de la vie même, que l’esthétique, comme la morale, doit chercher ce qui ne périra pas. »

Tolstoï rattache à son tour l’art à la religion, qui est, dit-il, « l’exposé de la conception la plus haute de la vie » et qui, selon lui, « sert de base à l’appréciation des sentiments humains ». Il nous montre que l’art traduit en sentiments les conceptions religieuses d’une époque, et que notre époque, en particulier, poursuit « la vie heureuse par l’union avec tous », qui, en conséquence, devient l’objet même de l’art. Mais Tolstoï s’en tient là-dessus à des vues confuses, sans réussir à systématiser philosophiquement cette doctrine, comme l’avait fait Guyau.

Selon ce dernier, « le grand art est celui où se maintient et se manifeste » l’unité de la vie individuelle avec la vie sociale et religieuse. L’art des « décadents » et des déséquilibrés », — auxquels Guyau a consacré un de ses plus beaux chapitres, — est « l’art où cette unité disparaît au profit des jeux d’imagination et de style, du culte exclusif de la forme » ; c’est l’art « individuel » ou même « aristocratique », l’art « insociable ». Guyau voit dans le génie même « une puissance supérieure de socialité » capable de créer par l’imagination un « nouveau milieu social ». Il montre que le