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part de socialité selon guyau

tageait les communes idées de Tolstoï et de Guyau sur les marques de dégénérescence vitale dans l’art décadent.

Selon nous, on peut distinguer trois périodes dans l’art. Dans la première période, l’art fut collectif et encore utilitaire ; dans la seconde, il est devenu de plus en plus individuel et dégagé de toute fin extérieure à lui ; mais on doit admettre, avec Guyau, une troisième période synthétique de l’évolution, où l’art, sans cesser d’offrir l’empreinte profonde de l’individualité, essentielle au génie, offrira aussi en même temps un autre trait non moins essentiel : l’universalité et la socialité de l’inspiration. C’est l’idéal que Wagner, si mal compris de Tolstoï, si admiré d’abord et ensuite si blâmé par Nietzsche, proposait à la musique et ne se flattait pas d’avoir pleinement réalisé lui-même. La grande musique, sans cesser d’être individuelle par le génie du musicien et nationale par l’influence du milieu, deviendra de plus en plus internationale, humaine, universelle. Il en sera de même des autres arts, comme Guyau l’a prouvé avant Tolstoï. Quoi qu’en puisse dire Ibsen, dont la thèse est précisément tout opposée à celle de Guyau et analogue à celle de Nietzsche, « l’homme fort » n’est pas « l’homme seul » ; il est l’homme uni par la pensée et par le cœur à tous les autres hommes, l’individualité en qui vit l’humanité entière. Et il en est de même du grand artiste.

IV. — Les idées de Guyau sur la religion — exposées par lui dans un livre que Nietzsche avait lu et annoté, l’Irréligion de l’avenir — ne sont pas moins originales ni moins importantes que ses idées sur la morale et l’art.

Pour Guyau, la conception d’un « lien de société » entre l’homme et l’univers se retrouve au fond de toutes les doctrines religieuses, et c’est ce qui en fait l’unité. La religion est la société universelle. Ses origines sont avant tout sociologiques. Les religions particulières, fondées sur des dogmes, des mythes et des rites, sont destinées à disparaître. C’est en ce sens que, selon