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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/52

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nietzsche et l’immoralisme

Guyau, il y aura dans l’avenir irréligion, puisque toute religion, au sens ordinaire du mot, est plus ou moins dogmatique, mythique et rituelle, sous peine de se confondre avec la philosophie et la morale. Mais l’individualisme même des croyances produira peu à peu l’union des croyances, une espérance commune dans l’avenir de l’humanité. Les lois sociologiques, qui sont au fond des lois psychiques et cosmiques, enveloppent, selon Guyau, plus que nous ne pouvons concevoir, et c’est cette pensée d’une œuvre universelle à laquelle nous coopérons, d’une société universelle dont nous sommes déjà membres, qui doit soutenir le sage mourant.

Grâce à l’accent de sincérité émue qui fait que sous l’écrivain on sent toujours l’homme, les œuvres de Guyau, où la forme était à la hauteur de la pensée, exercèrent une notable influence non seulement en France, mais à l’étranger ; ses principaux livres furent traduits en allemand et en anglais, ses œuvres complètes en russe. Nous verrons plus loin l’impression profonde que ses idées firent sur Nietzsche et les réflexions qu’elles lui inspirèrent. C’est un privilège de Guyau que d’avoir inspiré partout des sympathies.

Les anarchistes et les socialistes ont eux-mêmes essayé de tirer à eux la doctrine morale et religieuse de Guyau, comme étant à la fois la plus libérale et autonome dans son principe, la plus sociable et la plus solidariste en ses applications. Mais ce serait faire tort à une grande pensée que de vouloir l’emprisonner dans des systèmes étroits et exclusifs, dont les prétentions sont opposées et même contradictoires. De ce que la conscience individuelle doit, comme conscience, avoir son autonomie et même, en un sens profond, son anomie, de ce qu’elle doit se faire à elle-même sa loi, être à soi-même sa loi, les anarchistes concluent que l’homme en société doit être sans loi ; nous avons vu, au contraire, que Guyau considère la loi comme l’expression nécessaire des conditions de la vie en société, et la sanction comme le maintien défensif ou préventif de ces