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la critique de la morale

pour « un premier commencement », il se fait illusion sur le caractère « créateur » de son génie. Que dirait Schopenhauer d’une pareille prétention, lui qui avait déjà si brutalement morigéné Kant et son impératif.

Nietzsche n’en répète pas moins qu’on ne s’est jamais demandé la valeur objective de l’impératif catégorique[1] ; que, de plus, on n’a jamais mis en doute la valeur d’utilité des préceptes moraux pour l’homme et pour l’humanité. « La morale a été, au contraire, dit-il, le terrain neutre où, après toutes les méfiances, les dissentiments et les contradictions, on finissait par tomber d’accord, le lieu sacré de la paix, où les penseurs se reposent d’eux-mêmes, où ils respirent et revivent.[2] » Comme s’il n’y avait pas eu, en morale comme ailleurs, les plus nombreuses contradictions entre les philosophes, soit de principes, soit d’applications ! — « Je ne vois personne qui ait osé une critique des évaluations morales », — comme si les écoles sceptique, épicurienne, utilitaire, évolutionniste, n’avaient pas soumis tous les devoirs et le principe même du devoir à leur critique ! — Non, répond Nietzsche ; les Anglais ont fait seulement une histoire des origines de ces sentiments, ce qui est tout autre chose qu’une « critique ». Ces historiens de la morale commettent la faute « d’admettre une sorte de consentement entre les peuples, au moins entre les peuples domestiqués, au sujet de certains préceptes de la morale, et d’en conclure à une obligation absolue,

  1. Le gai Savoir, 345.
  2. Ibid.