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nietzsche et l’immoralisme

plus toute éthique qui est niée par Nietzsche. Il met simplement en question la valeur pratique des évaluations morales aujourd’hui reçues, notamment des évaluations chrétiennes qui élèvent la pitié au-dessus de la dureté, l’amour et le respect des faibles au-dessus de la force, ETA. C’est à cette œuvre modeste, — révision et correction d’un certain nombre de règles aujourd’hui admises, — que Nietzsche aboutit. Mais comme ce serait peu original, peu digne d’un génie « créateur », il prend enfin le parti, — après avoir lui-même admis une éthique et même deux, celle des maîtres et celle des esclaves, — de prétendre qu’il a complètement brisé toutes les tables des valeurs reçues, que le décalogue de Zarathoustra sera le contre-pied exact de tous les autres décalogues. Au lieu de « soyez pitoyables », soyez durs ; au lieu de « aimez-vous les uns les autres », luttez les uns contre les autres, etc. Cela va bien pour quelques préceptes, qui même ne sont pas dans le Décalogue ; mais, pour être conséquent, il faudrait que Nietzsche en vînt, au lieu de « tu ne prendras pas le bien de ton prochain », à dire : tu voleras ; au lieu de « tu ne prendras pas la femme de ton prochain », tu seras adultère ; au lieu de « tu ne tueras point », tue ! — Il le dit bien pour la guerre, mais il n’a pas prêché ouvertement l’assassinat dans toutes les circonstances. Au fond, il n’est donc qu’un faux immoraliste ; il est encore empoisonné lui-même de cet alcaloïde vénéneux, de cette morphine mentale qu’il nomme moraline !

Nous venons, par une analyse et une dissection régulière des textes mêmes de Nietzsche, de faire s’évanouir son originalité prétendue ou, du moins, de l’acculer à une fâcheuse originalité ; car, prétendre que toutes les règles de la société entre les hommes sont malfaisantes, ce serait le délire porté à son comble. Nietzsche est donc pris dans ce dilemme : lieu commun ou insanité.

Il croit cependant innover en énonçant ce paradoxe : « Je suis arrivé à la conclusion qu’il n’y a pas du tout de faits moraux ; le jugement moral a cela de commun