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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/94

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nietzsche et l’immoralisme

comme un suprême paradoxe : Dieu, c’est le mal ; Nietzsche va plus loin et dit : Le bien, c’est le mal ; le vrai, c’est le faux ; la moralité, c’est l’immoralité. Il n’est enfin original qu’au prix de l’absolue contradiction.

Au reste, cette contradiction même, il va la contredire à son tour. « Tout naturalisme dans la morale, dit-il, c’est-à-dire toute saine morale est dominée par l’instinct de vie ; un commandement de la vie quelconque est rempli par un canon déterminé d’ordres et de défenses ; une entrave ou une inimitié quelconque sur le domaine vital est ainsi écartée. La morale antinaturelle, c’est-à-dire toute morale qui jusqu’à présent a été enseignée, vénérée et prêchée, se dirige, au contraire, précisément contre les instincts vitaux ; elle est une condamnation, tantôt secrète, tantôt bruyante et effrontée, de ces mêmes instincts… Le saint qui plaît à Dieu, c’est le castrat idéal. La vie prend fin là où commence le royaume de Dieu.[1] » Nietzsche confond ainsi sophistiquement toute morale avec un ascétisme ennemi de la nature et de la vie, qui défendrait de boire et de manger, d’avoir des enfants, d’aimer, de se réjouir, de vivre. Et il lui est facile alors d’anathématiser la morale comme négation de la vie. Mais lui-même, dans la même page, il reconnaît que tout commandement de la vie et de l’instinct vital est rempli par un canon déterminé d’ordres et de défenses ; or, ces ordres et ces défenses sont une morale, celle de la vie ; il y a donc toujours une morale ! Il faut toujours déterminer le summum de la vie, c’est-à-dire, au fond, de l’existence et du vouloir. Nous voilà revenus aux éternels problèmes, que Nietzsche se flattait tout à l’heure d’avoir pour jamais anéantis.

De contradiction en contradiction, notre philosophe poursuit son chemin. Tantôt, en vue de la vie pleine et

  1. Crépuscule des idoles : la morale en tant que manifestation contre la nature.