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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/96

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nietzsche et l’immoralisme

des coups de marteau dans sa propre doctrine. « Il y a dans l’homme, dit-il magnifiquement, une créature et un créateur ;… il y a dans l’homme quelque chose qui est matière, fragment, superflu, argile, boue, non-sens, chaos : mais, dans l’homme, il y a aussi quelque chose qui est créateur, dureté de marteau, contemplation d’artiste, allégresse du septième jour. » Que nous apprennent ces belles paroles, sinon ce que les grandes philosophies et les grandes religions nous enseignent depuis des siècles : l’opposition de la volonté et de l’appétit, de la pensée désintéressée et des sens, de la moralité et de l’instinct ? Seulement, si cette opposition se comprend dans le platonisme ou dans le christianisme, que peut-elle bien signifier dans une doctrine qui vient de poser en principe que toute morale est un préjugé et même un « poison » ?

Au nom de cette même opposition entre la volonté active et la passion, Nietzsche fait un admirable éloge de la souffrance, à laquelle il attribue (thèse bien connue d’ailleurs) les progrès de l’humanité. Il parle en platonicien, il parle en stoïcien, il parle en chrétien. « Hédonisme, Pessimisme, Utilitarisme, Eudémonisme, toutes ces manières de penser qui mesurent la valeur des choses d’après le plaisir et la peine, c’est-à-dire d’après des circonstances accessoires, des détails secondaires, sont des manières superficielles, des naïvetés sur lesquelles quiconque a conscience en soi de forces créatrices et artistiques ne pourra jeter les yeux sans dédain ni même sans pitié. Pitié pour vous ! Ce n’est sans doute pas la pitié comme vous l’entendez, ce n’est pas la pitié pour la misère sociale, pour la société, ses malades et ses victimes, pour ses vicieux et ses vaincus dès l’origine, tels qu’ils gisent autour de nous brisés ; c’est encore moins la pitié pour ces couches sociales d’esclaves murmurants, opprimés et rebelles, qui tendent tous leurs efforts vers la domination, qu’ils appellent liberté. Notre pitié est une pitié plus haute, à l’horizon plus vaste : nous voyons comme l’homme