Un éloge si enflammé de la douleur, quelque beau
qu’il soit d’inspiration morale, ne se comprend guère dans une doctrine qui n’admet aucun bien réel, aucune vraie fin en vue de laquelle la douleur puisse servir de moyen. Car nous répéter encore : « De la puissance,
plus de puissance ! » ce n’est rien dire, ce n’est rien
poser, ce n’est rien créer. Nietzsche, nous l’avons vu, méprise la raison, il traite Descartes de « superficiel » pour avoir fait de la raison autre chose qu’un simple instrument ; mais la douleur, qu’il glorifie, n’est elle-même qu’un instrument. Le « contentement » est aussi un instrument et ne vaut pas par soi. Où trouverons-nous donc enfin quelque chose qui ne soit pas un
instrument ? — « La puissance », répète Nietzsche à
satiété. — C’est là, au contraire, l’instrument des
instruments, c’est même un nom abstrait pour désigner
l’instrument ! Pouvoir, c’est avoir le moyen de…
Zarathoustra ne nous a jamais dit de quoi, et c’est là ce
qui importait. De plus, si la souffrance est bonne, si
nous devons « dire oui à la souffrance », pourquoi
Nietzsche prétend-il que nous disions non à la
souffrance d’autrui, que nous refusions de mettre la
souffrance en commun pour la combattre en commun ?
Enfin, le chantre de la vie veut voir se réaliser toutes
les formes de la vie ; pourquoi donc, parmi ces formes,
attaque-t-il avec tant d’acharnement celles dont
l’humanité a précisément vécu : les formes morales,
non seulement la justice, mais la bonté, la charité, la
pitié même ? Le stoïcisme de Nietzsche n’a ni base
rationnelle, ni base expérimentale. Ce grand ennemi de
tout ascétisme et de tout mysticisme finit par parler
comme un ascète et un mystique, pour qui la douleur
est le moyen de quelque grand œuvre dont un Dieu seul
aurait le secret ; lui aussi il parle comme s’il croyait à la
Providence !