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LA BASTILLE EN 1789.

avait eu une alerte en entendant sous sa chambre un bruit extraordinaire, qu’elle prit pour celui d’une machine terrible. Et c’était simplement le bruit du tournebroche, parce que sa chambre était au dessus de la cuisine.

Il est permis de dire, sans aucun paradoxe, que le tournebroche jouait un plus grand rôle à la Bastille que les instruments de torture. Marmontel à conté dans ses Mémoires comment, le jour de son arrivée, il mangea le dîner de son domestique, qu’il trouva excellent, croyant que c’était le sien, et ne fut détrompé que lorsqu’on apporta l’autre, dont il nous donne le menu, à faire venir l’eau à la bouche d’un gourmet. Hâtons-nous d’ajouter que Marmontel avait des protecteurs et que le gouverneur le traitait avec des égards particuliers. Mais Dumouriez, qu’on y envoya en 1772, n’était pas dans les mêmes conditions, et il écrit dans sa Vie, en parlant de lui à la troisième personne, selon son habitude : « Son valet de chambre, qui était bon cuisinier, faisait des ragoûts. On était fort bien nourri à la Bastille ; il y avait toujours cinq plats pour le dîner, trois pour le souper, sans le dessert ». Je ne me dissimule pas que cela paraît invraisemblable, mais je cite mes auteurs. Lorsque, le soir de son incarcération, après les formalités minutieuses de la fouille, il demanda qu’on allât lui chercher un poulet chez le traiteur voisin, puisqu’il était trop tard pour lui donner le souper de la Bastille : « Un poulet ! fit le major. Savez-vous que