Page:Fournier - Le Théâtre français au XVIe et au XVIIe siècle, t. 2, Garnier.djvu/404

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Je suis près du trépas,

Pour un philtre amoureux que j'ai pris par l'oreille.

ARTABAZE
.


Vraiment vous me contez une étrange merveille, [740]

Un philtre par l'oreille ?

FILIDAN
.


Écoutez-moi, bons Dieux ;

J'entends un doux récit du coral de deux yeux,

De l'azur d'une bouche.

ARTABAZE
.


Ah Dieux ! Il me fait rire.

C'est de l'azur des yeux que vous me voulez dire,

Du coral d'une bouche.

FILIDAN
.


Attendez un moment. [745]

C'est doncques l'un ou l'autre.

ARTABAZE
.


Ah ! Vous êtes amant

De quelques yeux d'azur, de quelque teint d'ivoire ?

FILIDAN
.


L'ivoire n'en est pas, si j'ai bonne mémoire.

Mais c'est un tel amas de parfaites beautés,

De trésors infinis, de rares qualités, [750]

Que je suis, pour les voir, dans un désir extrême.

ARTABAZE
.


Sans doute il veut parler de la Nymphe qui m'aime.

FILIDAN
.


Quoi, vous la connaissez ?

ARTABAZE
.


Ah ! Si je la connais ?

Cette Nymphe m'adore, elle vit sous mes lois.

FILIDAN
.


Quelle vive douleur a mon âme saisie ? [755]

Fallait-il à mes maux joindre la jalousie ?

Ne suffisait-il pas de languir sans la voir ?

ARTABAZE
.


J'en pourrai bien ranger d'autres sous mon pouvoir,

Je me suis engagé de vous donner remède,

J'ai pitié de vos maux, allez, je vous la cède. [760]

FILIDAN
.


Ô Prince généreux, courtois et libéral,

Donc j'obtiendrai par vous cet azur, ce coral ?

De gloire et de bonheur le ciel vous environne,

Que j'embrasse vos pieds.

ARTABAZE
.


Allez, je vous la donne.