Crois-tu, cher confident de ma nouvelle ardeur,
Que ma fidélité puisse être assez heureuse
Pour fléchir quelque jour cette humeur rigoureuse ?
Écoute, chère soeur, ce misérable Amant
Qui feint ne me point voir pour dire son tourment. [1350]
Les grands peuvent donner les soutiens d'une vie,
Qui par mille accidents nous peut-être ravie :
Mais par un vers puissant comme la déité
Je puis leur faire don de l'immortalité.
Ah ! Qu'elle est rigoureuse à son Amant fidèle ! [1355]
Ah ! Que pour les savants la saison est cruelle !
Beauté, si tu pouvais savoir tous mes travaux !
Siècle, si tu pouvais savoir ce que je vaux !
J'aurais en ton amour une place authentique.
J'aurais une statue en la place publique. [1360]
J'ai pitié de les voir en cette égalité
L'un se plaindre du temps, l'autre de ma beauté.
Non, c'est un Dialogue : Amidor l'étudie
Pour en faire une Scène en quelque Comédie.
Ah ! Ne le croyez pas, l'un et l'autre en effet [1365]
Ont du temps et de moi l'esprit mal satisfait.
Voyez qu'ils sont rêveurs : sachons-le avec adresse.
Doncques vous vous plaignez d'une ingrate maîtresse ?
Si c'est quelque pitié naissante en votre coeur
Qui vous fasse enquérir quel trait fut mon vainqueur, [1370]
Sachez qu'il vint d'un oeil que j'adore en mon âme.
Voyez qu'il est adroit à me conter sa flamme.
Quelle est donc la beauté d'où vient votre tourment ?