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MON ENCRIER

entr’ouverte laissait apercevoir ses dents, et un sourire égaré errait continuellement sur ses lèvres…

De toute évidence, cet homme-là était tombé depuis longtemps dans le gâtisme. Pourquoi l’on laissait tout de même entre ses mains les vies de tant d’infortunés, c’est ce que je ne pus comprendre tout d’abord. Un garde se chargea de me l’expliquer :

— Voyez-vous, me dit-il, le docteur est ici depuis vingt-cinq ans : le renvoyer, ce serait sa mort.

Pour cette profonde raison, le docteur R*** restait donc — avec le docteur L*** — l’un des deux médecins de la prison. Un mois sur deux, il avait toute liberté de prodiguer ses soins aux détenus.

Son cornet acoustique d’une main, de l’autre un thermomètre — toujours le même, — il faisait régulièrement le tour de la prison chaque matin. Il prenait la température aux malades, leur tâtait le pouls, leur faisait tirer la langue… Tout cela avec conscience et lenteur.

Mais où il brillait principalement, c’était dans l’auscultation. Le docteur R*** avait cette passion-là : l’auscultation. Vingt fois par jour on le trouvait penché sur la poitrine d’un malade. Peu lui importait la nature du mal, et qu’il s’agît d’une inflammation de poumons,