— Je crois, reprit M. Rochefort, poursuivant sa pensée, que la République aurait à craindre beaucoup plus une restauration bonapartiste, encore que ce dénouement soit bien improbable.
— Vous croyez vraiment que le prince Victor… ?
— Je crois qu’à un moment donné il aurait des chances… En tout cas, il en aurait certainement plus que le duc d’Orléans.
— Et comment expliqueriez-vous cela ?
— La Légende, monsieur, mais la Légende !… Vous savez bien qu’elle n’est pas morte !… qu’au contraire, elle est chaque jour plus vivante !… Napoléon est de plus en plus, en France, un demi-dieu. Il suffit de prononcer son nom pour rendre les gens à moitié fous. Pourquoi ? oh ! c’est une autre question.
Ici, notre interlocuteur fit une pause. Puis, appuyant ses deux mains sur la table, il ajouta :
— Toute l’histoire de Napoléon est un tissu de mensonges. Je ne comprends pas la vénération que l’on peut avoir pour cet homme-là, qui fut certainement le plus grand menteur de tous les temps — et un monstre par-dessus le marché… On dit qu’il a gagné des batailles. C’est vrai, mais d’abord il en a perdu autant qu’il en a gagné. Il eut certes des qualités militaires ; mais où il brilla principalement, ce fut dans l’art de s’attribuer les mérites des autres. Quand il était vaincu, il mettait naturellement la faute