Page:Fournier - Souvenirs de prison, 1910.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tait-il avec insistance. Que je suis heureux de vous voir ! Depuis le temps… » Et il n’achevait plus de me vouloir prodiguer ses embrassements.

Je me rappelais tout cela, et aussi comme il avait ri de bon cœur lorsqu’à cette question : « Mais que venez-vous faire ici ? », j’avais répondu, prévoyant le sort qui m’attendait : « Je suis venu choisir ma cellule… »

Maintenant…

Maintenant, hélas, « quantum mutatus ab illo ! »

Ah ! il n’avait plus envie de rire, le gouverneur !

Immobile et rigide comme la statue du Commandeur, il se tenait tout d’une pièce sur le haut du perron. Étonnantes variations d’un cœur de geôlier ! croiriez-vous bien qu’il ne me dit seulement pas : « Bonjour, monsieur » ? Je vis qu’il jetait sur moi, comme je descendais de voiture, des yeux chargés d’un immense mépris. J’en demeurai presque confondu.

Pour la première fois depuis le début de mes tribulations, je me demandai si je n’étais point coupable. Ma conscience disait non, mais l’œil du geôlier disait oui. Enfin, je m’arcboutai comme je pus contre ce regard accablant, et je montai rapidement le perron. Alors, tandis qu’un garde, portant un énorme trousseau de clefs, ouvrait la première porte de fer, le gouverneur fit deux pas vers moi, et, d’un geste rude, m’indiqua le chemin fatal.