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Page:Fournier - Souvenirs de prison, 1910.djvu/53

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XIII

« Prends-toi-z-en au shérif ! »

Un jour, je dis à M. Morin :

Gouverneur

Car, depuis longtemps, je ne l’appelais plus autrement, sachant les bonnes manières.

Gouverneur, en vérité vous n’êtes pas raisonnable. D’abord, vous me faites porter la livrée. Je n’en dirais trop rien s’il n’y avait que la veste et le pantalon, accoutrement ridicule, mais point douloureux. J’endurerais même sans protester ce chapeau-là, qui me fait mal à la tête, et ces souliers, quoiqu’ils pèsent bien cinq livres chacun. Mais ce qui n’est vraiment pas supportable, ce sont les sous-vêtements que vous m’avez donnés. Ils seraient de fil barbelé qu’ils ne pourraient mieux m’écorcher. Ils m’ont déjà mis les épaules tout au sang, et les démangeaisons qu’ils me causent sont plus cuisantes encore que celles qui me prennent d’écrire contre vous dans les journaux.

« En deuxième lieu, votre skelley, gouverneur, j’ose le dire, n’est pas mangeable. Je vous défie bien seulement d’y goûter… Voilà qui est sérieux, vous en conviendrez.

« Troisièmement, je suis toujours le dernier à dépouiller ma correspondance et, quant aux cigares qui me sont envoyés, j’ignore ce qu’ils deviennent, mais ce n’est jamais moi qui les fume. »

M. Morin répondit, comme de raison, en se retranchant derrière le règlement.