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UN MURILLO

l’exploitation du mercantilisme sans entrailles, qui, à Paris comme ailleurs, spécule sur le talent pauvre pour arracher aux jeunes artistes le sang de leurs veines, en échange d’une bouchée de pain.

Durant deux longues années, il avait ainsi peiné et végété, sans pouvoir, au prix du travail le plus asservissant, amasser seulement la somme nécessaire pour son retour en Amérique.

Puis étaient venus la guerre franco-prussienne, le siège de Paris, les horreurs de la Commune,

Le jeune Canadien, plein de cœur et de patriotisme, n’avait pas hésité : il avait vaillamment payé sa dette de sang à la grande patrie, et avait été blessé, à la prise de Benzenval, à côté de son maître et ami, Henri Regneault, tombé lui-même, frappé par une balle allemande en pleine poitrine.

Puis ce furent les long mois d’hôpital ; et enfin le harnais repris, le cou de nouveau dans la bricole, pour recommencer la désespérante corvée…

En repassant dans son esprit ces longues années de pauvreté, de douleurs et d’abandon, le jeune peintre baissait la tête et sa figure prenait une expression navrante.

Mais tout à coup, elle s’éclairait d’un rayon de joie.

Un de ses tableaux reçu et admiré au Salon. Un amateur riche. Une vente avantageuse ; les dettes payées, et le retour au pays natal, avec l’avenir devant lui, auprès de sa vieille mère !

Et Maurice Flavigny, se remettant à l’ouvrage, murmurait sur un ton de suprême reconnaissance à Dieu :