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Page:Fréchette - La Voix d’un exilé - 1868.djvu/4

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J’ai vu ton vieux drapeau, sainte et noble oriflamme,
Déchiré par la balle et noirci par la flamme,
Encor tout imprégné du sang de nos héros,
Couvert des monceaux d’or qu’un ennemi leur compte,
Servir de tapis vert à des bandits sans honte,
Sur la table de leurs tripots.

Je les ai vus, ces gueux, — honte à l’espèce humaine ! —
L’œil plein d’hypocrisie et le cœur plein de haine,
Le parjure à la bouche et le verre à la main,
Érigeant l’infamie et le vol en science,
Pour vendre leur pays, troquer leur conscience
Contre un ignoble parchemin.

Mandat, serment, devoir, honneur, vertu civique,
Rien n’est sacré pour eux ; dans leur rage cynique,
Ils bâillonnent la loi pour mieux la violer…
Puis, à table, viveurs ! ici, truffe et champagne !…
Grisez-vous bien, ô vous que le boulet du bagne
Devrait faire seul chanceler !

Ne laissez pas monter le rouge à votre joue :
La pudeur ne vaut rien ; dans la fange et la boue
Risquez-vous hardiment, fronts hauts, sans sourciller !
Accouplez-vous bien vite aux hontes de la rue…
Allons ! depuis quand donc cette engeance repue
A-t-elle peur de se souiller ?

Les traites ! s’ils gardaient pour eux seuls leurs souillures !…
Mais ils ont souffleté nos gloires les plus pures ;
Ils ont éclaboussé tous nos fronts immortels ;
Aux croyances du peuple ils ont tendu des pièges,
Et dressé leurs tréteaux, histrions sacrilèges,
Jusques à l’ombre des autels.