Page:Fréchette - La Voix d’un exilé - 1868.djvu/5

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Mais il manque à l’orgie un nouveau camarade :
Il faut à ces roués un roi de mascarade,
Un roi de la bamboche, un roi de carnaval !…
Oui, je l’avoue, il manque une chose à la fête :
Le stigmate, il est vrai, décore bien la tête,
Mais pas comme un bandeau royal.

Eh bien ! puisqu’il le faut, — pardonne, ô ma patrie ! —
Dans les sales bourbiers de la truanderie
Plongez-vous pour trouver un roi digne de vous ;
Un roi digne de vous, s’il s’appelle Cartouche,
S’il a le vice au cœur et le fiel à la bouche,
Et surtout s’il sort des égoûts !

Ô Papineau, Viger, patriotes sublimes !
Lorimier, Cardinal, Chénier, nobles victimes !
Qu’êtes-vous devenus, héros cent fois bénis ?
Vous qui, sur l’échafaud, portiez vos fronts sans tache ?
Vous qui teigniez de sang les murs de Saint-Eustache ?
Vous qui mouriez à Saint-Denis ?

Que ces jours étaient beaux ! Phalanges héroïques,
Ces soldats nés d’hier, ces orateurs stoïques,
Comme ils le portaient haut, l’étendard canadien !
Ceux-ci, puissants tribuns, faisaient les patriotes ;
Ceux-là marchaient joyeux au devant des despotes,
Et mouraient en disant : C’est bien !

Ô toi qui survis seul à ces temps d’épopée,
Que ta grande âme encor si fortement trempée
Doit souffrir en voyant cet âge d’apostats !
Et tous ces cœurs d’acier qui dorment dans la tombe,
S’ils pouvaient voir aussi leur grande œuvre qui tombe,
Comme ils vous maudiraient, ingrats !