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Page:Fréchette - Les hommes du jour Wilfrid Laurier, 1890.djvu/11

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il s’était fixé, une grande réputation d’avocat et de jurisconsulte ; et ses merveilleuses aptitudes oratoires, son honorabilité en affaires, sa nature douce et bienveillante, sans compter le charme exquis de ses manières, lui créèrent une telle popularité, que la division électorale de Drummond et Arthabaska, aux élections provinciales de 1871, le porta à la députation pour la Chambre de Québec, par une majorité de 1,000 voix sur l’ancien député, M. Hemming, son concurrent.

Son début à l’Assemblée législative fit sensation. Quel était donc ce jeune député, qui n’avait pas trente ans et qui traitait ainsi, du premier coup, les plus hautes questions politiques avec cette franchise et cette autorité ? Quel était donc ce nouvel orateur, disert, érudit, captivant, qui en imposait même à ses adversaires par sa parole si châtiée, si élevée, si courtoise dans le blâme ou l’ironie, surtout si mesurée dans l’entraînement de la discussion ?

L’effet produit fut magique. Je crois entendre encore le tonnerre d’applaudissements qui ébranla les galeries, lorsque, à la fin d’une période imagée où il avait fait défiler, sous les regards de ses auditeurs, la caravane immense et triste de nos compatriotes émigrant aux États-Unis, l’orateur jeta au gouvernement du jour son allusion sanglante au mot célèbre des condamnés de l’ancienne Rome : Ave, Cæsar, morituri te salutant !

Le lendemain, le nom de Laurier était dans toutes les bouches. Et tout le monde se souvient comme ces deux syllabes, dans leur signification héroïque, sonnaient juste et clair, avec leur timbre de pièce d’or pure de tout alliage et frappée au bon coin !

J’ajouterai de suite que, plus tard, au cours de la carrière si mouvementée du jeune débutant de 1871, dans sa vie privée comme dans sa vie publique, pas une défaillance, pas un instant d’oubli, pas un mouvement maladroit, pas une phrase hasardée, pas un mot malheureux, ne sont venus altérer en rien l’éclat de ce premier succès. Au contraire, quelles qu’aient été les circonstances difficiles où il se soit trouvé, les lourdes responsabilités qu’il lui ait fallu assumer, les obstacles et les préjugés avec lesquels il dût combattre corps à corps, il a grandi sans cesse, surpassant chaque fois l’attente de ses admirateurs, toujours de plus en plus étonnés par sa souplesse d’esprit et la variété de ses ressources.

Rien de médiocre, toujours des coups de maître. Aussi, quand