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Page:Fréchette - Les hommes du jour Wilfrid Laurier, 1890.djvu/12

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son début retentissant à l’Assemblée législative de Québec l’avait placé au rang suprême parmi les plus brillants orateurs français de sa province, celui qui signala son arrivée à la chambre des Communes, en 1874, le mit d’emblée presque hors de pair parmi les debaters anglais de la Confédération,

Ce fut une circonstance solennelle, et nul de ceux qui étaient là présents ne saurait en perdre jamais le souvenir. Il s’agissait de l’expulsion de Louis Riel, le révolté du Nord-Ouest, qui, accusé du meurtre de Thomas Scott et fuyant la justice, venait d’être élu député de Provencher, et s’était fait assermenter à ce titre sans toutefois oser prendre son siège. La question était brûlante et passionnait terriblement les esprits. Des antipathies de races l’envenimaient encore. Les mots de clémence, de justice, de bonne harmonie n’avaient plus de signification aux oreilles de plusieurs. Il fallait un maître en éloquence pour défendre le contumace en face de ses plus mortels ennemis, et manœuvrer, sans encombre ni heurts, à travers les monceaux et l’enchevêtrement de préjugés soulevés contre le chef métis. Le débat durait depuis deux jours, violent, enflammé. Enfin Laurier se lève : — Mr. Speaker, dit-il…

On savait Laurier éloquent ; il avait déjà pris la parole en français à l’ouverture de la session ; mais on ne croyait pas, on n’avait pas l’idée qu’il hasarderait sa réputation en essayant de prononcer un discours en anglais, dans une circonstance aussi scabreuse. La surprise fut grande, mais ce fut une révélation. Je ne crois pas qu’aucun orateur, si ce n’est lui-même, ait remporté depuis un pareil succès dans nos assemblées délibérantes.

À mesure que, dans son langage si élégant et si académique, le brillant discoureur entrait tranquillement dans le cœur de son sujet, un silence de tombeau se répandait dans la vaste salle, et les députés anglais prêtaient l’oreille avec étonnement à ce charmeur qui maniait leur langue avec plus de grâce qu’eux et qui leur disait de cruelles vérités sur un ton qu’ils ne pouvaient s’empêcher d’applaudir. Tous s’entre-regardaient, émerveillés.

Laurier tint l’auditoire entier suspendu à ses lèvres durant plus d’une heure. Pas un seul instant sa prodigieuse éloquence ne faiblit. Il faut l’avoir entendu. Il développait les principes et les doctrines du droit judiciaire et constitutionnel avec l’aisance d’un