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Page:Fréchette - Les hommes du jour Wilfrid Laurier, 1890.djvu/13

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vétéran parlementaire et la précision d’un dialecticien consommé. Les faits se groupaient, les preuves et les autorités s’amoncelaient, les arguments s’échafaudaient les uns sur les autres avec une logique serrée, vivante, inexorable, et les conclusions arrivaient d’elles-mêmes, sans efforts, mais irrésistibles. Et cela admirablement enchaîné, coulant de source, sans une hésitation, sans un bégaiement, sans une syllabe de trop, avec un organe sonore et vibrant, une richesse et une variété d’intonations superbes, un geste sobre et précis, une attitude aussi naturelle que magistralement digne.

L’enthousiasme fut immense. Il avait déjà repris son siège depuis cinq minutes, que les applaudissements éclataient encore, tandis que les ministres et les députés les plus importants défilaient devant lui pour lui prodiguer leurs poignées de mains et leurs félicitations. Le futur chef de parti venait d’affirmer son droit au premier poste, en disant : Ego nominor leo ! Cette fameuse harangue n’eut qu’un défaut, celui d’en décourager plus d’un. J’entendis un député dire : « Si ce discours eût été prononcé au commencement du débat, personne ne sait s’il n’eût pas emporté le plateau de la balance. »

En tous cas, Laurier avait gagné sa partie, à lui ; dès ce moment, sa place fut marquée au ministère. Il y fut appelé en 1877, à la retraite de M. Cauchon, qui venait d’être nommé lieutenant-gouverneur pour le Manitoba.

Chose singulière et qui fournit un exemple bien frappant des aberrations populaires comme des vicissitudes souvent incompréhensibles de la vie politique, le nouveau ministre, qui, aux élections précédentes, avait été nommé par une majorité de plus de 700 voix sur son concurrent, M. Tessier, un notaire distingué et très éloquent, ne put se faire réélire, malgré le surcroît d’influence qu’aurait dû lui donner son porte-feuille de ministre de l’Accise. Il fut défait par un honnête et inoffensif marchand de village, qui l’importa sur lui par 21 voix de majorité !

Ce fut pour le gouvernement Mackenzie un échec dont il ne se releva pas. Laurier eut beau revenir dans la capitale, le mandat de Québec-Est à la main, le branle était donné, la bascule commençait à jouer. L’immense popularité du jeune ministre dans le reste du pays n’y put rien.