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Page:Fréchette - Les hommes du jour Wilfrid Laurier, 1890.djvu/15

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non-seulement se priver d’un élément de succès des plus considérables, c’est froisser le sentiment de l’électeur et mettre la cause même en danger. Or cette considération, en politique la première de toutes, s’est effacée tout entière devant le prestige de notre compatriote. Et, bien que le parti libéral anglais comptât des hommes de la taille de Sir Richard Cartwright, de Mills, de Jones, d’Edgar, de Patterson, de Davies, le jour où des raisons de santé forcèrent Edward Blake à remettre son bâton de maréchal entre les mains d’un lieutenant, ce fut Laurier qu’on choisit à l’unanimité pour le remplacer à la tête du parti.

Le choix était inattendu, parce qu’il paraissait impossible. Il a été fait, cependant, sans hésitation et d’une seule voix.

Laurier a-t-il répondu à cette confiance de façon à ne désappointer personne ?

Quelques-uns disaient de lui : « On peut être charmant discoureur, logicien puissant, et même orateur parlementaire hors ligne, sans pour cela avoir la valeur d’un chef de parti. On peut compter de brillants états de service, posséder même la bravoure d’un héros, sans avoir les qualités d’un général. On peut être un admirable soldat, sans être un grand capitaine. Laurier sera-t-il au premier rang ce qu’il a su être au second ? »

Eh bien, là aussi, sur ce terrain pourtant si glissant, l’attitude ferme et habile du jeune leader a plus que justifié le choix du parti, plus que satisfait l’attente de ses admirateurs ; elle les a étonnés, — je dirais même déconcertés, si le mot ne comportait pas double signification.

Un des Anglais les plus influents du groupe libéral me disait dernièrement encore : « He is marvellous. » Et le mot sonne juste. Laurier n’est pas un chef ordinaire. Renseigné sur tous les points, toujours prêt à la riposte, jamais découvert, d’une prudence sans pareille dans ses mouvements, ne laissant rien au hasard, charmant ses amis par sa crânerie, désarmant ses adversaires par sa loyauté courtoise autant qu’il les étourdit par ses brillantes charges à fond de train, il ne fait jamais une fausse manœuvre, ne se laisse jamais prendre au dépourvu ; et, s’il n’écrase pas l’ennemi à chaque rencontre, au moins est-il bien rare qu’il ne le couche pas sur le champ de bataille.