Aller au contenu

Page:Fréchette - Les hommes du jour Wilfrid Laurier, 1890.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais c’est quand il faut disposer d’une question vitale, presser l’application d’un important principe économique ou humanitaire, quand il faut frapper le coup suprême qui décide du sort d’une campagne, que Laurier se dresse de toute sa hauteur et sait déployer toute son envergure.

Alors, si la nouvelle transpire au dehors, si l’on apprend que Laurier doit parler, la foule se précipite, les galeries se bondent de spectateurs sûrs d’assister à une éclosion rayonnante et d’entendre une pièce oratoire digne de figurer parmi les plus belles pages d’éloquence parlementaire. Et personne ne s’en retourne désappointé.

Or toutes ses qualités de chef politique, notre vaillant compatriote les a déployées surtout dans sa récente campagne chez nos voisins d’Ontario.

On sait quels préjugés avaient été soulevés, depuis deux ou trois ans, dans cette partie du pays, contre tout ce qui porte chez nous le nom de français et de catholique. Le brandon de la discorde, secoué par quelques fanatiques désireux de pêcher en eau trouble, avait enflammé les esprits. Le vieux levain des haines anciennes avait fermenté partout, et, au nom de prétendus droits menacés, on avait réussi à soulever contre nous et notre province une portion considérable de la population d’Ontario. Les chefs réagissaient de leur mieux et faisaient des efforts inouïs pour enrayer le mouvement, au risque d’être emportés par la débâcle ; mais, voyant, malgré tout, le danger des plus sérieux conflits grandir sans cesse, les libéraux de la province sœur crurent n’avoir rien de mieux à faire que d’appeler Laurier à la rescousse.

Je n’ai pas à signaler ici les causes de ce soulèvement déplorable, ni à partager entre qui de droit la somme des responsabilités encourues ; je constaterai seulement que, dans les circonstances, pour un chef de parti français et catholique, aller ainsi en plein Toronto affronter les cris furieux de — No popery ! No French domination ! c’était plus que de l’héroïsme, c’était de la témérité. Autant aller défier un tigre dans les jungles, disait-on.

Et quand le jeune chef eut accepté la tâche presque surhumaine qu’on lui imposait : — « C’est la fin de Laurier, » ajoutèrent plus d’un sous forme de conclusion.

Et cependant Wilfrid Laurier est revenu vainqueur. À sa parole