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Chapitre XVIII


Le fondateur de Montmartre, Pierre Foursin — Sur le terrain d’une ancienne réserve indienne — La prise de possession par les actionnaires — Premières déceptions — Sept familles et deux célibataires — Un feu de prairie qui n’était pas prévu — Le premier hiver fait une victime, mais un jour de l’an joyeux relève le moral — De nouvelles recrues plus compétentes — Un garde-feu historique — La première école — Le « Grand Mariage » — Visiteurs de marque — Un voyage d’approvisionnement mémorable dans la nuit de Noël — Les actionnaires se retirent — Montmartre descend dans la plaine — Un centre français prospère


Le fondateur de Montmartre, Pierre Foursin

Un nom sur la carte qui retient l’œil à coup sûr, à 60 milles au sud-est de Regina, est celui de Montmartre. Quels Parisiens hantés par le souvenir de leur Butte — artistes ou poètes — ont bien pu passer par là ? Le Montmartre de la Saskatchewan se relie en effet très étroitement à celui de la capitale française. Il est regrettable que l’Ouest ne se souvienne pas mieux de celui qui en fut le fondateur et le parrain — Pierre Foursin — déjà familier au lecteur. « Ce Français, disait La Minerve du temps, tellement épris de notre pays qu’il est devenu plus Canadien que nous-mêmes. »

Pierre Foursin vit le jour en 1850 à Saint-Pair, petit port de pêche normand près de Granville (Manche). Issu d’une famille de douaniers, il grandit face à la mer, avec un goût marqué pour l’aventure et les vastes horizons. Déjà dans l’armée avec le grade de sergent-major en 1870, il est fait prisonnier à Metz et réussit à s’évader d’Allemagne dans des circonstances tragiques, en traversant la Hollande et la Belgique. C’est un grand garçon solide, blond, barbu, très myope, de tenue plutôt négligée et gros fumeur. Sa tête déborde d’idées originales qu’il expose avec brio, mais qui demeurent souvent à l’état de rêves. Pour parachever ce portrait, il convient d’ajouter que le Normand Foursin, devenu Parisien, avait sa demeure aux alentours de la place Blanche ou de la place Pigalle et qu’il était très attaché à son vieux Montmartre.

Cette brève description et cette carrière militaire évoquent par certains côtés une figure légendaire de la même époque, et peut-être n’est-ce pas sans raison. Foursin fut l’ami intime et un fils spirituel de Paul Déroulède, de quatre ans son aîné, qui l’entraîna dans toutes ses aventures politiques et patriotiques, avec Marcel Habert, Henri Galli et autres lieutenants. L’auteur des Chants du soldat n’avait qu’à exprimer un désir pour que Foursin y vit un ordre auquel il ne pouvait se dérober. Lors de l’un de ses voyages au Canada, au temps de l’affaire Boulanger, il dut revenir brusquement à Paris où Déroulède estimait sa présence utile. Notons en passant que la popularité éphémère du général s’étendit jusqu’au Canada, qu’il avait visité en même temps que les États-Unis. Quand il fut exilé de son pays, la colonie française de Montréal l’invita à venir se réfugier dans cette ville, en attendant la fin de sa disgrâce.

À la fondation du Commissariat général du Canada à Paris, Pierre Foursin y entre comme secrétaire particulier d’Hector Fabre. Il fut aussi secrétaire de la rédaction de Paris-Canada. À ce double titre, il noua des relations amicales avec de nombreuses personnalités canadiennes, entre autres, Chapleau, Mercier, Decelles, le curé Labelle. Il joua un rôle actif dans tous les projets de lignes de navigation entre les deux pays et fit plusieurs voyages au Canada. Pour reconnaître et encourager ses efforts à y diriger des compatriotes, le gouvernement fédéral le nomma agent d’immigration en France. Jusqu’alors il n’avait pas été plus loin qu’Ottawa ; mais cette année-là même, il accompagna un groupe d’agriculteurs britanniques visitant les provinces des Prairies et la Colombie-Britannique, comme délégué auprès des colons belges et français.


Sur le terrain d’une ancienne réserve indienne

C’est au retour de cette excursion agréable et instructive que Foursin commença à échafauder les plans d’une entreprise de colonisation dans les plaines de l’Ouest. La réunion des capitaux nécessaires fut chose facile. Aucun appel au public : ne valait-il pas mieux garder les profits certains dans le petit groupe des fondateurs dont elle serait la propre affaire ? Ainsi fut fondée la Société Foncière du Canada, au capital alors respectable de 350,000 francs.

À quinze milles au sud de Wolseley en Saskatchewan, le gouvernement canadien venait de déplacer une tribu indienne qui ne s’entendait pas avec une tribu voisine. Le territoire demeuré vacant s’étendait sur douze kilomètres de long et dix de large. Une partie était un peu vallonnée et boisée, mais le reste