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noces, les jeunes époux se rendirent au homestead du marié.

Cependant, quelques-uns des premiers Montmartrois se trouvaient en froid avec la direction, à la suite de trop lourdes dettes contractées. Ils ne furent pas invités au Grand Mariage — humiliation suprême qui ne pouvait être oubliée. C’est ainsi que la famille Bureau s’éloigna la première, suivie plus tard par les Berneau, les Mangenot, les Cariou et les Fombeur. De ceux venus comme métayers de la Société, il ne restait plus que Trémaudan, Ogier et Simonin. À Paris, on avait d’ailleurs renoncé à faire signer des contrats que l’expérience avait révélés défectueux.


Visiteurs de marque

Le 15 août 1895, une gelée précoce détruisit en un instant tout l’espoir mis dans des céréales pleines de promesses. En revanche, la récolte de foin et de légumes fut excellente. La fin de septembre réservait un triomphe personnel à Pierre Foursin, qui reçut dans ses domaines des personnages officiels distingués. Sir Adolphe Chapleau, lieutenant-gouverneur de la province de Québec, Joseph Royal, ancien lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest, et Alfred Kleczkowski, consul général de France à Montréal, au retour d’un voyage à la côte du Pacifique, acceptèrent l’offre de leur ami de visiter, en passant, la colonie française de Montmartre. Ils descendirent à la gare d’Indian Head, où les attendaient Foursin et Latreille. Au bureau de poste du Lac Marguerite, tenu par ce dernier, des dames leur servirent un lunch rapide et le trajet se poursuivit. À la Grande Maison, le tricolore se déployait sur le toit, dans la cour, les couleurs canadiennes flottaient au haut d’un mât de cinquante pieds.

Après cette randonnée à travers la prairie par un air un peu vif, les voyageurs jouirent pleinement de la large hospitalité qui les attendait. Foursin, de son côté, pensait au bénéfice qui pouvait en découler pour l’avenir de son établissement. Le consul de France se fit un devoir de visiter chez eux chacun des colons, qui furent très touchés de cette attention. Ils glissèrent un mot discret sur leur inquiétude du lendemain. Le diplomate les encouragea et les félicita, ayant soin d’observer une sage prudence. Il sut gagner l’affection de tous. Le soir, un dîner intime réunit autour des hôtes distingués Foursin, André Chartier. Albert Hayman, Alfred Latreille et Paul Hamel.

L’année suivante, d’autres personnages en vedette devaient honorer d’une visite la colonie montmartroise. Ce furent : Israël Tarte, ministre des Travaux publics dans le cabinet Laurier, qu’accompagnaient sa femme et sa fille ; Amédée-Emmanuel Forget, futur lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest ; Henri Bourassa, jeune député appelé à une brillante carrière. Ils prirent tous la parole à un grand banquet offert en leur honneur.


Un voyage d’approvisionnement mémorable dons la nuit de Noël

C’est à la fin de l’année 1895 que se place un incident devenu légendaire. Six hommes de Montmartre, conduisant six traîneaux à bœufs, étaient allés à Wolseley faire provision de farine. On s’était sans doute attardé à bavarder après le dîner, car il était déjà 3 h. quand on se mit en route pour le retour. Or, le trajet durait six heures et à cette saison, dès 4 h., c’était la nuit noire. Tant pis, l’instinct des bêtes leur servirait de guide. La caravane glissait doucement sur la neige depuis un bon moment, lorsque le chef de file lança un cri d’alarme :

— Malheur ! on a quitté le chemin !…

Que faire ?… Les conducteurs se dispersent à la recherche de pistes, tout en s’appelant les uns les autres. Quelqu’un propose qu’on s’arrête et qu’on allume un feu. Un autre s’y oppose :

— Non, ce serait imprudent. Nous ne sommes pas assez vêtus et jamais les buissons ne pourront fournir assez de combustible pour toute la nuit. Mieux vaut laisser les bœufs aller à leur guise.

Les animaux repartent de leur pas lent et réfléchi. Pour se donner du cœur, à lui et à ses compagnons, l’un des six attaque la Marseillaise, suivie de plusieurs autres chants populaires auxquels tous participent. Bientôt, le directeur se recueille un instant, puis il entonne sur un ton grave et plein de ferveur : Minuit, chrétiens, c’est l’heure solennelle…

N’est-ce pas, en effet, la nuit de Noël ?… Et dire qu’on l’avait presque oublié !… Les vieux cantiques se succèdent, avec les souvenirs d’enfance qu’ils éveillent, conjurant la fatigue, l’angoisse et le froid.

Mais que se passe-t-il donc en avant de la colonne, où l’attelage de tête semble accélérer le pas ? On dirait un vague point lumineux à distance… C’est bien cela et les bœufs foncent droit dessus. Un quart d’heure après, le convoi de farine arrivait à la Grande Maison, où brillait à une fenêtre la lumière d’une lampe. Ce brave Foursin, en apparence distrait et rêveur, avait l’âme d’un chef et pensait à tout.

Montmartre progressait à tous les points de vue. Lors de la naissance du premier enfant du Grand Mariage — Noémie-Rosalie Écarnot — la mère fut assistée par le Dr Bouju, récemment arrivé de France avec sa femme. Ils séjournèrent quelques mois à la Grande Maison, avant de s’installer définitivement sur une ferme à deux milles du lac Marguerite. La guerre devait les rappeler outre-mer et ils ne revinrent pas ; mais la population garda le souvenir reconnaissant des services inappréciables rendus par ce premier médecin de la région.


Les actionnaires se retirent

Auguste Hayman, le secrétaire de la Société Foncière, vint passer deux mois à Montmartre.