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Ce voyage eut des conséquences graves pour l’avenir de la colonie. C’était un homme d’affaires averti, qui vit les choses d’un autre œil que son président. Il constata tout de suite que les colons, en dépit de certaines difficultés à surmonter, étaient en bonne voie de réussite et capables de se tirer d’affaire seuls. Mais du point de vue de la Société, il se rendit compte que la situation réelle ne concordait pas avec les rapports reçus à Paris depuis trois ans. Pour sauver ce qui pouvait encore être sauvé la seule solution lui apparut dès lors la liquidation.

À l’automne, le président et le secrétaire firent en même temps leurs adieux à la Grande Maison. Leur départ marqua le démembrement de la Société et les métayers furent simplement déliés de leurs obligations.

Ses trois années et demie de séjour officiel en Saskatchewan avaient peu éloigné Foursin de son vieux Montmartre. De fréquents voyages l’avaient tenu en contact avec ses amis et au courant de tous leurs projets. Aussi y reprit-il tout naturellement une place qu’il avait si peu quittée. Paul Déroulède accueillit à bras ouverts son lieutenant qui allait lui être très utile dans les luttes de l’affaire Dreyfus. Aux élections municipales de 1900, Foursin, candidat de l’Union républicaine patriotique à Montmartre (quartier de la Goutte d’or) contre cinq socialistes révolutionnaires, l’emporta aisément au second tour de scrutin. Quatre ans plus tard, de nouveau en tête au premier tour, il fut défait au second.

Dans le même temps, les Montmartrois de l’Ouest canadien, favorisés par de bonnes récoltes, devenaient presque riches. Victor Latreille et Amédée Écarnot firent un voyage à Paris. On considérait comme irrémédiablement perdu le tiers du capital souscrit en 1893. Latreille acheta la Grande Maison, les écuries et autres biens de la Société. Écarnot revint marié et se fit construire une maison en pierre, la première du genre à Montmartre.

Jusqu’alors, les colons avaient dû se contenter d’une messe mensuelle célébrée à dix-huit milles de chez eux. Trémaudan et Amédée Écarnot, qui possédaient chacun une paire de chevaux, transportaient les fidèles en chariot ou en traîneau. Les Canadiens français de Wolseley invitaient aimablement les Montmartrois à prendre le dîner chez eux. En octobre 1900, un prêtre suisse, l’abbé Claude-Joseph Passaplan, s’installa dans la Grande Maison, dont toute la partie exposée à l’est servit temporairement d’église. La population n’atteignait pas encore cent âmes. Dès que l’instituteur Trémaudan connut ce qui se préparait, il acheta de ses propres deniers un harmonium et s’improvisa maître de chapelle, sous la direction du curé. Mais au bout de quelques mois, la Grande Maison et les écuries passèrent entre les mains de Louis Simonin et de Charles Écarnot. Elles furent démolies et le matériel servit à d’autres constructions. Bientôt il ne restera plus aucune trace de l’établissement primitif et des prétentieux bâtiments qui avaient symbolisé les projets vaporeux de Foursin et les espoirs volatilisés des trop jeunes actionnaires.


Montmartre descend dans la plaine

Montmartre va descendre dans la plaine !… Par bonheur, l’ex-président ne verra pas de ses yeux pareille humiliation. Quant à ses camarades du temps de la fondation qui ont persévéré, ils cèdent moins au sentiment et croient que Montmartre peut exister sans sa butte. L’abbé Passaplan construit à la hâte une maison-chapelle de 20 sur 30 pieds et il s’en va. Le vrai curé fondateur sera le jeune abbé Joseph-Antoine Thériault, originaire du diocèse de Rimouski, qui arrivera en 1903.

La même année, Jean-Baptiste Ferraton, de Saint-Sauveur-en-Rue (Loire), venait prendre un homestead à Montmartre. Après quelque temps, il retournait au pays natal pour y épouser Rosine Mounier. Le couple réside toujours sur sa ferme depuis plus d’un demi-siècle. En 1913, Bartholémie Ferraton, frère aîné du précédent, et sa femme, Marie Mounier, sœur de Rosine, venaient à leur tour s’installer dans le sud de la colonie. Ils devaient y rester plus de trente ans, avant de se retirer au village. Alphonse Mounier, frère des deux dames Ferraton, a aussi fait souche à Montmartre. La descendance des deux familles de Saint-Sauveur-en-Rue n’est pas près de s’éteindre dans la région.

Il nous est impossible de mentionner tous les Français qui vinrent par la suite grossir le centre fondé par les Parisiens de 1893

Trois ans après sa fondation — alors que tous les rêves étaient permis — Montmartre espéra quelque temps posséder son propre chemin de fer. Pierre Foursin, de passage à Ottawa, rencontra O. Shaughnessy, futur président du Pacifique Canadien. Il lui proposa de trouver en France un million de dollars pour la construction d’un embranchement de Cannington-Manor à Indian Head, qui traverserait le territoire de la colonie montmartroise. Cette opération financière, croyait-on, n’était pas impossible. Mais le promoteur de l’entreprise, de retour à Paris et accaparé par d’autres soucis, ne pensa plus au fameux projet. Il fallut attendre cinq années encore l’arrivée du Canadien-Nord. Comme partout, ce fut le commencement d’une ère nouvelle qui assurait définitivement l’avenir. Un village surgit près de la gare, à un mille du petit centre formé par l’école, l’église-presbytère et le magasin. L’année suivante, il s’érigeait en municipalité. Deux artisans de la période héroïque des débuts, Charles Écarnot et Désiré de Trémaudan. furent élus, le premier maire, le second secrétaire-trésorier. L’école et l’église se transportèrent au nouveau village.

Après quinze années d’existence et deux déménagements, Montmartre trouvait enfin son