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Chapitre XXI


Missionnaires et colons Français pendant l’insurrection de 1885 — Après la Tourmente — Auguste Bodard amène des colons Français — Saint-Louis et Hoey — Duck-Lake et Titanic — Domrémy et Bonne-Madone — Fondation du « Patriote de l’Ouest » — Pour faire travailler les capitaux français de l’Ouest.


Missionnaires et colons Français pendant l’insurrection de 1885

Au nord de la province — dans la région qui fut le théâtre de l’insurrection des Métis — il existe un autre groupe de colonies françaises dont la fondation remonte aux dernières années de l’autre siècle.

Dès 1870, des Métis venus du Manitoba avaient formé, sur la Saskatchewan du Sud, une agglomération primitive pompeusement nommée la « Petite Ville ». Le premier missionnaire qui les suivit là fut le P. Julien Moulin, né à Dinan (Côtes-du-Nord). En 1883, il sera chargé de Batoche et y restera plus de trente ans. Un autre Breton, le P. Alexis André, de Guipavas (Finistère), trapu et large d’épaules, aux allures peu cléricales, mais d’un zèle à toute épreuve, fut le vrai fondateur de Saint-Laurent, à dix milles au nord de la Petite Ville. Comme supérieur ecclésiastique du district, il fixa ensuite sa résidence dans la bourgade naissante de Prince-Albert. Le P. Vital Fourmond, né à Arou (Sarthe), entré tard chez les Oblats et déjà proche de la cinquantaine, devint alors curé de Saint-Laurent, aidé du P. Valentin Végreville, de Châtres (Mayenne), qui s’occupa des missions environnantes. Ces quatre religieux devaient se trouver en plein cœur de la tourmente de 1885.

Deux colons français étaient déjà sur les lieux. Trois ou quatre années plus tôt, Eugène Lemaire et Louis Riguidel y avaient retenu des terres. Ce dernier, un Breton, qui épousa une jeune Métisse, fut, à Duck-Lake, le premier instituteur de l’école, fréquentée par vingt-deux élèves. Lors du soulèvement, le couple trouva refuge à la mission de Saint-Laurent et suivit à Batoche les Pères prisonniers de Riel. Riguidel s’y trouva mêlé à un incident dramatique survenu quelques jours avant la bataille décisive. Quelques Métis refusaient d’adhérer aux divagations religieuses de Riel et de reconnaître sa « mission divine ». Ils avaient fait appel au P. Fourmond pour réfuter le trop habile rhéteur. Les arguments du missionnaire eurent peu de poids, submergés par les envolées oratoires du chef. Mais à un certain moment, croyant avoir touché le cœur de ses ouailles, le prêtre voulut retourner contre l’insulteur l’injure que celui-ci lançait à l’Église par dérision. Il exhorta donc ses auditeurs à crier tous ensemble : « Vive la vieille Romaine ! » Cet appel passionné n’obtint pas le résultat désiré. Seuls Riguidel et sa femme y allèrent de toute la chaleur de leur âme et de toute la force de leurs poumons. Riel, très contrarié, menaça d’arrêter l’insolent pour le placer au premier rang sur la ligne de feu. Le lendemain, ses hommes vinrent par deux fois le réclamer. Mais le Breton, de grand matin, avait eu la précaution de fuir, avec un Métis anglais qui montait la garde sur la route de Winnipeg.

Après la Tourmente

La paix revenue, Louis Riguidel reprit sa classe. Trois ans plus tard, le P. Fourmond réussissait à bâtir une autre école sur une réserve indienne voisine. Elle fut confiée aussi à un Français, Ferdinand Ladret. Le premier, l’instituteur breton, fidèle à la région qui l’avait accueilli, y vécut jusqu’à un âge avancé et mourut à Onion Lake.

Le P. Végreville avait joué un rôle très actif pendant les journées de Batoche, acceptant la reddition des insurgés, intercédant pour eux auprès de Middleton, distribuant aux familles les secours du gouvernement. Mais il avait assumé une responsabilité grosse de conséquences en s’appuyant sur la parole d’honneur du général pour affirmer que ceux qui retourneraient chez eux ne seraient pas inquiétés. Ses supérieurs crurent devoir lui assigner un autre poste, dans la région d’Edmonton

Le P. Moulin, au cours de la bataille de Batoche, avait reçu une balle dans une cuisse, alors qu’il se tenait dans le grenier de son presbytère. Il se remit de sa blessure et demeura avec ses chers Métis jusqu’en 1914. Lorsqu’il mourut à Saint-Albert, six années plus tard, il avait atteint l’âge de quatre-vingt-huit ans.

Le P. Chaumond, demeuré à Saint-Laurent, assista, la mort dans l’âme, à l’émiettement de sa paroisse, par suite de nombreux départs et de la formation de centres nouveaux. Ceux qui restaient étaient une autre source de chagrin pour le missionnaire, l’esprit chrétien ayant reçu un coup fatal dans la rébellion. Le P. Chaumond décéda à Saint-Boniface en 1892, à la suite d’une intervention chirurgicale