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Après avoir assisté Riel à son procès et au moment de son exécution à Regina, le P. André quitta à son tour la Saskatchewan pour l’Alberta. Il devait mourir à Calgary, quelques mois après son compagnon des beaux jours de Saint-Laurent. Ainsi disparaissaient presque en même temps les deux fondateurs de cette mission jadis florissante qui avait été le berceau du diocèse de Prince-Albert. Ils n’eurent pas la douleur atroce de la voir s’effondrer de leur vivant. Deux années après leur mort, tout était consommé. Mais quarante ans plus tard, un nouveau Saint-Laurent surgira sur les ruines de l’ancien.


Auguste Bodard amène des colons Fronçais

C’est à l’heure où ce premier centre francophone du nord de la Saskatchewan s’effaçait de la carte après vingt ans d’existence, que des émigrés français commencèrent à paraître dans la région. Ce mouvement fut l’œuvre d’Auguste Bodard, secrétaire général de la Société d’Immigration française, qui avait son siège à Montréal. Ce Français de l’Ille-et-Vilaine, venu au pays peu après 1870, s’occupait d’attirer des émigrants français, belges et suisses, qui s’établissaient pour la plupart dans la province de Québec. Après avoir visité le Manitoba et le Nord-Ouest, il se rendit compte des avantages matériels et nationaux offerts par ces terres nouvelles à ses compatriotes désireux de se fixer au Canada.

Le grand argument invoqué contre l’émigration de l’élément français vers ces régions, c’est qu’il va disparaître, noyé par la population anglo-saxonne. Mais Bodard a constaté que la situation, sous le rapport de la survivance, y est meilleure que dans l’Ontario, que nos compatriotes y ont partout (au Manitoba) des écoles, des églises et des prêtres de leur nationalité. « Ils sont la minorité, c’est vrai, mais il suffit d’un peu d’émigration de la province de Québec, de France et de Belgique pour rétablir l’équilibre, principalement dans les campagnes ». Cela était exact aussi pour la Saskatchewan. Toute une région entre Prince-Albert et Saskatoon garde aujourd’hui le cachet français que lui imprimèrent, il y a plus d’un demi-siècle, les patients efforts d’Auguste Bodard.


Saint-Louis et Hoey

Le P. Pierre Lecoq, déjà rencontré à la fondation de Sainte-Rose-du-Lac, fut l’organisateur de la paroisse de Saint-Louis. Les premiers colons français à s’y établir semblent avoir été Jules Godard et sa femme, venus de Vivonne (Vienne), dès 1886. Puis ce furent Alexandre Pannetier, également de la Vienne ; Jean Branger et sa femme, née Marie Lenoir, avec leurs enfants, de la Loire-Atlantique ; Joseph-Louis Cochet, de la Sarthe ; Joseph Magnin, de la Savoie ; Louis Guayez, de Pont-sur-Sambre (Aisne) ; Fernand Pellissier.

L’abbé François-Xavier Barbier, né aux Boffres, près Annonay (Ardèche), était alors le seul prêtre séculier du diocèse de Prince-Albert. Nouvellement arrivé, il fut placé à la tête de cette paroisse, avant de passer dans plusieurs autres de la région. En 1897, Saint-Louis reçut les premières Filles de la Providence de Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord). De là, elles devaient essaimer dans une dizaine de centres français de l’Ouest.

Vers le même temps, les époux Godard, les pionniers, estimèrent que le moment était venu de réintégrer leur Poitou. Mais au bout de trois ans ils étaient de retour, ayant constaté qu’il faisait mieux vivre à Saint-Louis.

C’est après avoir passé sept ans dans l’Alberta et la Colombie-Britannique que Joseph Tessier, venu de la Lozère en 1896, se fixa définitivement à Saint-Louis. À la suite d’une vie très laborieuse, il prit sa retraite à Prince-Albert ; mais trois fils cultivent encore les terres familiales et deux filles sont établies dans le voisinage.

L’abbé Gaston Carpentier, l’un des derniers prêtres français de la région, exerça le ministère à Saint-Louis pendant près de trente ans. Né à Saint-Quentin (Aisne) et venu au Canada en 1910, il séjourna d’abord à Wainright, en Alberta, puis à Blaine-Lake et à Zenon-Park, en Saskatchewan. Un autre fils de Saint-Quentin, l’abbé Georges Lemaire, ami d’enfance du premier, l’avait suivi dans les deux provinces. Ces deux prêtres moururent peu de temps l’un après l’autre, ayant vécu quarante ans dans l’Ouest canadien.

On ne saurait parler de Saint-Louis sans évoquer le centre voisin de Hoey, où vivent aussi des Français. Parmi les anciens disparus, le Parisien Lucien Mareschal, qui fut secrétaire de la municipalité avant de passer à Domrémy. Le Charentais Amédée Motut est aujourd’hui fixé avec sa famille à Mission-City, en Colombie-Britannique. L’un de ses fils, Roger, docteur ès lettres, occupe une chaire de professeur à l’Université de l’Alberta.

Au nombre des pionniers de Saint-Louis-Hoey, citons encore les Begrand, d’origine belge. Henri Begrand, venu tout jeune avec les siens, est le député actuel de la circonscription de Kinistino à l’Assemblée législative de la Saskatchewan.


Duck-Lake et Titanic

Au tournant du siècle, Duck-Lake est le centre principal de l’immigration française dans le nord de la Saskatchewan. Les premiers colons viennent d’un peu partout : Jean Mandin de la Bretonnière, près Luçon (Vendée), avec sa femme et ses deux filles ; Louis Bonnet, de Pont-de-Beauvoisin (Isère) ; C. Amiot et Joseph Percher, de Paris ; Arthur et Léon Pèrezil du Calvados : Auguste Tournier, du Doubs : Frédéric David, Ferdinand Lanovaz, Joannès Rousset. Un autre originaire du Doubs. E Charvet, à cause de la santé de sa compagne, doit bientôt rentrer en France avec celle-ci et leurs huit fils dont les âges s’échelonnent de huit à vingt ans ; mais il emporte avec lui plus de 100,000 francs.