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pieux et charmant de Bonne-Madone. Vers le même temps, deux membres des Chanoines réguliers de Notre-Dame-de-Lourdes, les PP. Laurent Voisin et Jean Garnier, visitaient le nord-est de la Saskatchewan, à la recherche de terres nouvelles à ouvrir et d’un lieu propre à l’établissement éventuel d’un nouveau monastère. La région de Domremy-Bonne-Madone leur apparut convenant tout à fait à l’élevage et à la culture à peu de frais. Ils y recueillirent la succession de l’abbé Barbier et construisirent la première église, sur le bord du lac. Leurs compatriotes continuèrent de venir prendre la place des Métis attirés ailleurs. Les Chanoines n’eurent pas le temps, ni les moyens, d’établir une succursale de leur ordre à Bonne-Madone, mais le P. Voisin doit être considéré comme le vrai fondateur de la paroisse. Né à Baume-les-Messieurs (Jura) et venu au Canada à 19 ans, il passa dix années à Bonne-Madone et mourut à Shell-River (aujourd’hui Victoire) en 1917.

Le 5 juillet 1902, le drapeau tricolore flottait sur la maison de Félix Revoy, un Jurassien de quatre-vingt-quatre ans. Quatre générations se trouvaient réunies au complet sous le même toit pour une fête exceptionnelle. Le patriarche mariait le dernier de ses petits-enfants, une fille d’Urbain Revoy, à un fils d’Abel Olivier.

La même année arrivait à Bonne-Madone Gabriel Nivon, de Terresanne (Drôme) ; un peu plus tard, Charles Simonot et sa femme, née Marie Daubigny. Le petit groupe se grossit de plusieurs autres Français dont les descendants habitent encore là pour la plupart.


Fondation du « Patriote de l’Ouest »

Comme Saint-Laurent avait été d’abord un point de ralliement pour les Métis de la région Duck-Lake devint en quelque sorte le centre intellectuel de ces petites colonies où s’étaient introduits les Européens. Cet honneur lui revenait à plus d’un titre : son ancienneté, sa population plus forte, son école indienne entre les mains des Oblats. Le directeur en fut pendant une trentaine d’années le P. Henri Delmas, un Aveyronais, qui a laissé son nom à une localité de la région et dont la vie fut consacrée à l’éducation des Indiens. Gravement malade pendant la première guerre, il ne pouvait se faire à l’idée de quitter ce monde tant que le sort de la France demeurait incertain et ses prières furent exaucées. Il devait mourir en 1942, alors que sa patrie traversait une crise beaucoup plus tragique encore.

C’est à l’École Saint-Michel que se réalisa, en 1910, le projet d’un journal hebdomadaire destiné au public de langue française. Les promoteurs furent le P. Ovide Charlebois — plus tard Mgr Charlebois, vicaire apostolique du Keewatin — l’abbé P.-E. Myre, curé de Saint-Isidore de Bellevue, et l’abbé Constant Bourdel, curé de Prud’homme. Un modeste atelier fut aménagé dans une dépendance de l’école. Les premiers ouvriers associés à l’œuvre — rédacteur, typographe, pressier — furent des Français. On alla chercher sur une ferme voisine, où il travaillait aux moissons, Jean-Marie Estival, pour le placer devant une casse de typographe. Ce jeune Breton avait apporté, dans son bagage léger d’émigrant, quelques notions d’imprimerie. Ce fut pour lui le point de départ imprévu d’une carrière journalistique exercée tour à tour à Montréal, à Sherbrooke et à Québec. Maurice Dumousseau, d’Angoulême, déjà rencontré à Saint Boniface, devint plus tard le chef d’atelier

Le P. Adrien-Gabriel Morice, un Oblat originaire de la Sarthe, rédigea les douze premiers numéros du Patriote de l’Ouest. Ancien missionnaire des Indiens en Colombie-Britannique. il était déjà connu par ses travaux historiques et ethnologiques, qu’il allait poursuivre durant une trentaine d’années. Son successeur, le P. A.-F. Auclair, eut pour aide un jeune prêtre français, l’abbé Boucher, qui fit la guerre dans les tirailleurs algériens. Le journal se transporta ensuite à Prince-Albert, où il trouva des conditions plus favorables à son développement. L’auteur de ces lignes y fut secrétaire de la rédaction, avant de passer à La Liberté, de Winnipeg, dont il eut la direction pendant dix-huit ans. Le P. Jean-Marie Tavernier, qui avait fait du ministère en Colombie-Britannique et dans l’Alberta, fut aussi, quelque temps, à la tête du Patriote. Les deux hebdomadaires français de la Saskatchewan et du Manitoba n’en font plus qu’un sous le titre La Liberté et le Patriote, publié à Winnipeg.

C’est à Duck-Lake que fut fondée, en 1912, l’Association Catholique Franco-Canadienne de la Saskatchewan. Elle y tint son premier congrès, qui choisit comme président Maurice Quennelle, de Wauchope.


Pour faire travailler les capitaux français de l’Ouest

La même année, un groupe de capitalistes français dont l’âme dirigeante était Édouard Brunet, directeur de l’Office d’études franco-canadiennes au Havre — ami fervent de l’Ouest canadien — lançait la Compagnie agricole et foncière du Lac Wakaw, au capital initial de 200,000 francs. Le lac Wakaw, qui a seize milles de long, est situé à 45 milles de Prince-Albert et à 50 de Saskatoon. La circulaire des promoteurs soulignait le sol fertile de cette région aux trois quarts peuplée et en plein développement, qui offrait de grands avantages pour les colons voulant se fixer dans un centre français. Mais, vu la faible natalité de la France, il était impossible à la plupart de ses cultivateurs et fermiers d’aller tenter fortune dans l’Ouest canadien. En revanche, rien de plus facile à ses petits et grands capitalistes que d’y envoyer leur argent « travailler » à gros bénéfices.

Édouard Brunet et ses amis ajoutaient une nouvelle société foncière et hypothécaire française à celles qui existaient déjà pour encourager la colonisation au Canada. Le Crédit Foncier Franco-Canadien, en établissant à Win-