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Chapitre XXII


Des Bretons fondent Saint Brieux — Une terre boisée et rocailleuse — Parmi les premiers colons — Le poids de l’isolement — Des histoires d’ours au dénouement heureux — Le premier hiver et la première école — Les sifflements de la première locomotive et la première visite pastorale — Nouvelle église et nouvelle école, malgré la guerre — Figures de quelques pionniers


Des Bretons fondent Saint-Brieux

Saint-Brieux, centre important de culture mixte, dans le nord-est de la Saskatchewan, compte parmi les paroisses les plus populeuses et les plus prospères du diocèse de Prince-Albert. Le village, coquettement bâti sur le versant d’une colline, au bord du lac Lenore, est doté de toutes les institutions scolaires, économiques et sociales désirables. Mais quel patient labeur et quelle persévérance il a fallu à ses vaillants pionniers pour accomplir ce miracle ! Les premiers furent des Bretons des Côtes-du-Nord et du Léon, ainsi que des Nantais. Puis vinrent des Français du Nord, des Vosges, du Poitou, de l’Auvergne et d’ailleurs.

Le 1er avril 1904, le « Malou » quittait le port de Saint-Malo à destination du Canada. Il avait à bord douze cents pêcheurs qui allaient passer la saison de la morue sur les bancs de Terre-Neuve et trois cents immigrants recrutés dans diverses régions de la Bretagne. Une partie de ces derniers devaient se rendre jusque dans le nord de la Saskatchewan. À leur tête se trouvait l’abbé Paul Le Floch, ancien recteur de Magoar (Côtes-du-Nord), qui avait été, l’année précédente, étudier la situation et explorer les lieux.

C’était le vendredi saint et les pêcheurs superstitieux murmuraient que partir un tel jour leur porterait malchance. La traversée, longue et angoissante, fut marquée de tempêtes et de brume. Le « Malou » faisait son premier voyage. À peine achevé, il manquait des commodités les plus essentielles et les passagers de l’entrepont se plaignirent justement du peu d’égards que l’on eut pour eux.

Le 15 avril, le « Malou » fit escale à Saint-Pierre-et-Miquelon, pour y déposer les pêcheurs. Les glaces bloquèrent dans le port le navire, qui ne put repartir que le 21. Deux jours après, les immigrants débarquaient enfin à Halifax, d’où un train spécial les conduisit à Montréal. Trois quarts environ d’entre eux étaient assignés à la province de Québec ou à divers points du Manitoba. Pour ceux-là, le voyage se déroula sans incidents. Il n’en fut pas de même pour le groupe des soixante-dix-sept qui devaient se rendre jusqu’à Prince-Albert. Dans la vallée de la Qu’Appelle, une inondation causée par la fonte des neiges et des glaces avait coupé la voie ferrée en divers endroits. Une partie du convoi dut s’arrêter à Qu’Appelle et l’autre à Regina. Demeurés dans leurs wagons servant de dortoirs, les Bretons mangeaient dans les restaurants locaux, aux frais de la compagnie. Ce fut une longue et énervante attente de douze jours avant de se remettre en route. À Saskatoon, nouvel obstacle : la Saskatchewan était sortie de son lit et le pont du chemin de fer avait été emporté par la violence du courant. Il fallut franchir dix milles en voiture et traverser le fleuve dans des barques afin de rejoindre le rail pour la dernière étape du trajet.

Le jeudi 12 mai, fête de l’Ascension — quarante-trois jours après le départ de Saint-Malo — les voyageurs arrivaient enfin, sous la pluie, à Prince-Albert. Fourbus, tristes, démoralisés, ils faisaient peine à voir et ne se sentaient guère disposés à repartir sur-le-champ pour leur ultime destination. L’accueil paternel que leur réservait Mgr Pascal remonta heureusement les courages. Il les reçut et les nourrit à l’évêché pendant huit jours. Le prélat était heureux, disait-il, de rendre à ces enfants de la Bretagne ce que leur province avait fait pour les missionnaires de l’Ouest canadien, par l’entremise de la Propagation de la Foi. Mgr Albert Pascal, né à Saint-Genest-de-Beauzon (Ardèche) en 1848, avait évangélisé les Mangeurs de Caribous et les Montagnais du lac Athabaska.


Une terre boisée et rocailleuse

Le chef du diocèse, d’accord avec l’abbé Le Floch, avait décidé que le lieu du nouvel établissement serait sur les bords du lac Lenore, à 80 milles au sud-est de Prince-Albert. Ce choix était dicté à l’évêque, croit-on, par la crainte de voir s’étendre jusqu’à cette région une forte colonie allemande en voie de formation dans le voisinage. Le P. Auguste Maisonneuve, qui résidait alors à Flett’s Springs, non loin du lac Lenore, vint prendre la tête de la caravane. Les Bretons avaient fait l’acquisition de chevaux plus ou moins domptés et de « wagons » dans lesquels ils placèrent leurs bagages personnels et divers articles indispensables à une première installation. Les femmes et les enfants demeurèrent temporairement à Prince-Albert. Ce fut un autre dur